Centrafrique: l'ONU demande l'ouverture effective de la Cour pénale spéciale

Centrafrique: l'ONU demande l'ouverture effective de la Cour pénale spéciale©Photo AFP/Pacome Pabandji
Enfants soldats assis sur une couverture après avoir été relâchés par des groupes armés à Bambari (Centrafrique) le 14 mai 2015
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Dans un rapport au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU se dit  préoccupé par la persistance de l’impunité en Centrafrique. Ban Ki-Moon plaide en faveur de la mise en place rapide de la Cour pénale spéciale créée l'année dernière dans ce pays qui traverse depuis 2012 la crise la plus aiguë de son histoire. Le secrétaire général sortant en appelle à la générosité des  bailleurs de fonds de la Centrafrique lors de la Table ronde qui se tiendra le 17 novembre à Bruxelles.

« Pour parvenir à une paix et une stabilité durables, la réconciliation nationale et la cohésion sociale doivent aller de pair avec des mesures de lutte contre l’impunité », souligne Ban Ki-Moon, dans ce rapport de 22 pages présenté le 10 octobre au Conseil de sécurité par Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint en charge du maintien de la paix. Ban Ki-Moon craint cependant que « la lutte contre l’impunité continue d’être entravée par l’insuffisance des moyens des institutions judiciaires, par les contraintes d’ordre structurel et logistique qui pèsent sur elles, et par le manque de volonté politique ou encore les allégations de partialité ». Le secrétaire général estime ainsi que « la mise en place rapide de la Cour pénale spéciale demeure une priorité » et « salue l’engagement pris par le gouvernement de choisir et de nommer les magistrats, en particulier le Procureur spécial, avant la fin de l’année ».

La loi instaurant une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire centrafricain a été promulguée en juin 2015 par la présidente de transition Catherine Samba-Panza. La création de cette cour vise à compléter le travail de la Cour pénale internationale (CPI) à laquelle le même gouvernement de Mme Samba-Panza a déféré la situation en Centrafrique depuis août 2012. Cette Cour pénale spéciale, qui sera composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux, a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les graves violations des droits humains perpétrées en Centrafrique depuis 2003.

Le pessimisme commence à gagner les esprits

 « L’implication de la CPI et de la Cour pénale spéciale est nécessaire étant donné l’ampleur et la gravité des crimes internationaux commis en République centrafricaine au cours des 13 dernières années et les déficiences actuelles du système judiciaire national », soulignaient une vingtaine d’organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme, dans un appel collectif adressé le 21 avril dernier au président Touadéra. « Pendant la dernière crise qui a frappé le pays en 2012, des groupes armés, appelés Séléka et Anti-balaka, ont commis des abus généralisés contre des civils, notamment des meurtres, des violences sexuelles ainsi que des destructions de propriétés privées, publiques et religieuses, entraînant des déplacements massifs de population », ajoutaient ces organisations, déplorant que les responsables de ces crimes n’aient pas encore été traduits en justice.

Six mois après l’entrée en fonction du président Touadéra, le pessimisme commence cependant à gagner les esprits. Pour certains, la libre circulation des chefs de guerre de l’ex – Séléka qui continuent les exactions sur la population et la liberté sous contrôle judiciaire dont bénéficie l’ex-ministre de la Défense, Jean-Francis Bozizé traduisent un manque de volonté ou une incapacité du nouveau gouvernement à s’attaquer sans état d’âme à l’impunité. Une inaction qui conforte un vertigineux regain de  violences que les nouvelles autorités se bornent à dénoncer dans des déclarations désormais quasi-quotidiennes mais sans effet.

Jean-Francis est notamment poursuivi pour violences perpétrées en 2013, lors de l'éviction de son père, l'ex-président François Bozizé. Après trois ans d'exil au Kenya, il est rentré début août à Bangui où il s'est rendu à la Mission des Nations unies pour la RCA, qui l'a ensuite remis aux autorités centrafricaines, lesquelles lui ont accordé la liberté sous contrôle judiciaire.

« Le président Faustin-Archange Touadéra et le Premier ministre Mathieu Simplice Sarandji ne sont pas sensibles aux bienfaits de la Justice transitionnelle », a réagi, l’ancien diplomate français, Didier Niewiadowski, dans un entretien publié, fin août, par JusticeInfo. Dénonçant tout autant le fait que « les seigneurs de  guerre de l’ex - Séléka se pavanent en toute liberté alors que les mandats d’arrêt existent également», l’ex conseiller à l'ambassade de France à Bangui (2008-2012) estime que « la liberté sous contrôle judiciaire (accordée à Jean-Françis Bozizé) est une plaisanterie qui ne fait pas rire les Centrafricains ».

Les partenaires ont exigé des réformes concrètes

Dans son discours à la 71ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, le 23 septembre, le président Touadéra ne s’est pas attardé sur la justice transitionnelle. Il n’a abordé le sujet que pour lancer un appel implicite aux bailleurs de fonds à mettre la main à la poche, sans dire à la communauté internationale ce que lui et son gouvernement font ou se sont engagés à faire en vue de l’éradication de l’impunité. « La justice et les droits de l'homme impliquent la réhabilitation de l'institution judiciaire pour garantir le droit des citoyens et la lutte contre l'impunité. A cet égard, il convient de renforcer la Cour pénale spéciale pour la RCA, la traduction des auteurs des crimes commis devant les juridictions compétentes et la question des réparations des préjudices subis », a –t-il simplement déclaré, semblant renvoyer la balle dans un autre camp que le sien.

Le même jour, à l’occasion d’une réunion ministérielle consacrée à la Centrafrique au siège de l’ONU, à New York, les partenaires de ce pays ont exigé de Touadéra, qui était présent, des réformes concrètes, notamment dans le domaine de la justice.