Centrafrique : l'ombre de François Bozizé et Michel Djotodia

Centrafrique : l'ombre de François Bozizé et Michel Djotodia©ONU/Jean Claude Bitsure
Hervé Ladsous en compagnie du Représentant spécial Onanga-Anyanga à Bambari
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Ils sont désignés par des allusions à peine voilées comme les principaux responsables des violences meurtrières qui ont repris de plus belle en Centrafrique depuis septembre dernier. Bien qu'en exil et sous le coup de sanctions internationales, les anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia ont toujours le bras long. Ces deux dirigeants sont accusés de perturber un processus de paix et de réconciliation dont ils sont exclus. A Bangui comme aux Nations unies, l'on s'accorde aujourd'hui sur la nécessité de les neutraliser. Mais comment  et quand?

« Tous ceux qui se mettent en travers du processus en créant des menaces sécuritaires et des menaces politiques  doivent être mis hors-jeu », a martelé le mardi 17 novembre à la BBC le secrétaire général adjoint de l'ONU aux opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous. Le diplomate français a réitéré la position des Nations unies sur la Centrafrique : « Il n'y aura pas de nouvelle transition. Les pays de la région sont sur cette ligne. Ils vont se réunir sur ce sujet le 25 novembre. Il y a un calendrier électoral qu'il faut respecter ». 

Selon cet échéancier électoral légèrement réaménagé à la suite des violences intercommunautaires ayant fait une centaine de morts à Bangui, en septembre dernier, le referendum constitutionnel qui avait été fixé au 4 octobre dernier aura lieu le 13 décembre, suivi le 27 décembre, des élections législatives et de la présidentielle initialement prévues pour le 18 octobre. Un éventuel second aura lieu le 31 janvier, soit un mois après la clôture de la période de transition. Ces nouvelles dates doivent être entérinées le 25 novembre par le sommet de la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC), qui fait office de nouvelle tutelle pour cette ancienne colonie française.  Hervé Ladsous a souligné que 93% des électeurs potentiels centrafricains s'étaient déjà fait inscrire. « Jamais la Centrafrique n'a eu autant d'électeurs potentiels enregistrés (…) C'est un signal politique très fort »,s'est-il réjoui.

Le responsable onusien semblait réagir à « l'accord politique » conclu le 13 novembre à Bangui par les membres de laConcertation élargie des partis politiques, associations politiques et personnalités politiques indépendantes. A l'issue de sa réunion, cette Concertation a exigé une nouvelle transition après le 30 décembre. Selon ce document paraphé par une cinquantaine de partis politiques et d'organisations de la société civile, une transition supplémentaire de 18 mois s'impose pour ramener la sécurité, réconcilier les Centrafricains, mettre en application le processus de Désarmement-Démobilisation-Réinsertion  (DDR) des ex-combattants, créer une armée nationale représentative des régions du pays et enfin organiser des élections inclusives, transparentes et apaisées. Le nouveau calendrier électoral demeure ainsi « irréaliste et dangereux », selon les signataires de l'accord, qui exigent que l'Autorité nationale des élections (ANE) achève les opérations d'enrôlement et la finalisation du fichier électoral avant de penser à l'organisation des scrutins.

 

« L'accord du 13 novembre est un non-événement »

 

 Pour le gouvernement intérimaire de Catherine Samba-Panza, la démarche du 13 novembre s'inscrit simplement dans le cadre d'un plan de sabotage orchestré par d'anciens dirigeants en exil. « Ce fameux accord du 13 novembre est un non-événement pour les autorités de la transition, il n'a aucune valeur juridique puisque jusqu'à nouvel ordre, la transition est régie par la charte constitutionnelle de transition et en dehors de celle-ci, on ne peut prétendre avoir une autre voie ou un autre support de la transition », a déclaré mercredi Clément-Anicet Guiyama, conseiller à la présidence de la République.  « Cet accord n'est rien d'autre qu'une énième tentative de tous ceux qui, depuis Nairobi, veulent changer les choses à leur goût sans tenir compte de la volonté du peuple centrafricain », a poursuivi le conseiller présidentiel sur les ondes de Radio Ndeke Luka. Les signataires dudit accord ne sont que des « inéligibles, des désargentés qui n'ont pas les moyens d'aller aux élections ainsi que des tortionnaires et autres bourreaux du peuple centrafricain », a-t-il ajouté.

Ceux qui veulent changer les choses à leur goût depuis Nairobi ? Cette figure de rhétorique chère au gouvernement Panza renvoie notamment et surtout aux anciens présidents centrafricains François Bozizé et Michel Djotodia actuellement en exil.  Considérés comme les principaux responsables de la crise actuelle dans leur pays, les deux hommes ont signé en avril dernier à Nairobi, au Kenya, un engagement en faveur de la réconciliation en Centrafrique. L'accord de Nairobi, sous l'impulsion du président congolais Denis Sassou N'Guesso, médiateur dans le processus de paix inter-centrafricain, prévoit un accord de cessez-le-feu, engage les parties à ne pas perturber l'organisation des élections et le processus de transition. Cet accord, rejeté à Bangui, est interprété comme une tentative pour les deux anciens dirigeants de forcer les portes d'un processus de paix dont ils sont exclus parce que fortement suspectés d'exactions.

François Bozizé a été chassé du pouvoir en mars 2013 par une coalition de rebelles, la Séléka, qui était conduite par Michel Djotodia. Les rebelles de la Séléka ont mis le pays en coupe réglée pendant 10 mois, avant d'être à leur tour évincés avec le départ du président de transition Michel Djotodia, contraint le 10 janvier 2014 à se retirer sous la pression internationale. Constitués comme une riposte aux exactions des Séléka, les Antibalaka, au départ des milices d'auto-défense, ont aussi vite commencé à faire régner la terreur dans une grande partie du pays, s'en prenant particulièrement aux musulmans. De nombreux Antibalaka sont réputés proches de Bozizé.

 

 Dépôt des premiers dossiers de candidature à la présidence

 

Si les deux anciens chefs d'Etat en exil font partie de ceux qu'Hervé Ladsous accuse de « se mettre en travers du processus en créant des menaces sécuritaires et des menaces politiques », comment alors les mettre hors d'état de nuire ?

Pour Catherine Samba-Panza, l'ONU et la justice pénale internationale doivent mettre la main sur les deux anciens présidents. Convaincue qu'ils manipulent des Centrafricains, la présidente de transition a appelé début novembre le « Comité des sanctions des Nations unies et la Cour pénale internationale ainsi que les pays concernés à tout mettre en œuvre pour appliquer les sanctions qui pèsent sur les leaders politiques impliqués dans ces troubles afin que ces derniers soient arrêtés où qu'ils se trouvent et répondent de leurs actes devant la justice ». Dans ce message à la nation, Catherine Samba-Panza a exhorté ses concitoyens à « aller résolument aux élections » au lieu de suivre ces acteurs « à l'avenir incertain ».

Même si une bonne partie de la classe politique et de la société civile accusent la présidente de ne faire que relayer les exigences de la communauté internationale qui porte son gouvernement à bout de bras, certains dirigeants bien en vue estiment que le temps est venu de sortir de cette longue transition. Parmi eux, figure l'ancien Premier ministre Martin Ziguélé, l'un des six premiers à avoir déposé le samedi 14 novembre leur dossier de candidature à la magistrature suprême du pays conformément au nouveau calendrier électoral. Présenté comme l'un des principaux favoris de la course à la présidence, Martin Ziguélé, chef du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), estime, dans un récent entretien avec AFRIK.COM qu'il « faut aller au vote le plus tôt possible ». Même s'il reconnaît que  « les violences qui visent les populations civiles, tant à Bangui que dans certaines villes de l'intérieur du pays comme Bambari, sont susceptibles de compromettre le bon déroulement du processus électoral si des actions vigoureuses ne sont pas entreprises pour les juguler ». Pour lui, les forces internationales déployées en Centrafrique doivent réadapter leurs stratégies en conséquence. « Il y a urgence à cela car tous ceux qui ont intérêt au statu quo sont déterminés à perturber le processus électoral. Il faut les mettre hors d'état de nuire », demande-t-il.