Centrafrique : un premier chef de guerre condamné par la justice nationale

Centrafrique : un premier chef de guerre condamné par la justice nationale©Issouf Sanogo/AFP
A Bouca, à 300 km au nord de Bangui, un milicien antibalaka passe le 25 avril 2014 devant des maisons qui auraient été détruites par la Séléka
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Rodrigue Ngaïbona, un redoutable chef de milice, a été condamné lundi 22 janvier 2018 aux travaux forcés à perpétuité par un tribunal de Bangui. La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) salue un premier pas décisif, en attendant le jugement d’autres chefs de guerre devant d’autres tribunaux nationaux centrafricains ou devant la justice internationale.

Rodrigue Ngaïbona était entré dans l’Histoire de la Centrafrique en 2013 en s’autoproclamant « général » après avoir pris la tête des Antibalaka, des jeunes qui s’étaient constitués en groupes d’autodéfense face aux rebelles de la Séléka. Ces derniers se livraient à des exactions de toutes sortes après avoir  chassé du pouvoir le président François Bozizé et porté à la tête du pays Michel Djotodia.

Mais le « libérateur » s’était vite mué en bourreau, usant, selon de nombreuses sources, des mêmes méthodes que ceux qu’il affirmait combattre : braquages de véhicules appartenant à des particuliers ou à des humanitaires, vols à main armée, enlèvements, viols, assassinats à Bangui et dans d’autres régions de la Centrafrique.

Rodrigue Ngaïbona, dit « général Andjilo » sera finalement arrêté en janvier 2015 par une opération de la force des Nations unies en Centrafrique. Il est, depuis, détenu à Bangui. Trois ans plus tard, son procès s’ouvre devant la Cour criminelle de Bangui. Lors de sa première comparution le 8 janvier, nombreux sont les habitants de Bangui qui se disent soulagés de le voir enfin face à la justice. Mais d’autres, sans aller jusqu’à fermer les yeux sur ses crimes allégués, créditent le « Général Andjilo » de les avoir délivrés de la férule  Séléka.

Le 22 janvier, la Cour a tranché : l’ancien chef de guerre anti-balaka a été jugé  coupable d’assassinats, association de malfaiteurs, vol à main armée, séquestration de personnes et détention illégale d’armes et munitions de guerre. Des crimes commis à Bangui et sur la route de Bouca (300 km, au nord de Bangui) entre octobre 2014 et janvier 2015.

Dans une déclaration ultime de 10 minutes, avant le prononcé du verdict, Rodrigue Ngaïbona, avait remercié ses avocats et clamé son innocence, comme tout au long du procès, avant de s’en remettre à la sagesse des juges et à Dieu. « Le peuple était avec moi dans ce combat de résistance et de libération", avait –il affirmé. Le 17 janvier, le procureur général, Eric Didier Tambo, avait requis "la peine de travaux forcés à perpétuité", qui a finalement été retenue par la Cour criminelle.

Le « Général Andjilo » a été condamné par ailleurs au paiement de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par les parties civiles. Il devra également verser un Franc symbolique aux organisations de défense des droits de l’Homme constituées parties civiles aux côtés des victimes.

Juger d’autres chefs de guerre

« Nous allons interjeter appel de la décision ; d’ailleurs nous sommes déjà bien avancés dans les procédures. Ce n’est qu’une décision en première instance, on ne peut pas crier victoire à l’heure actuelle », a réagi Me Didier Gonenzapa, un des deux avocats de la défense, interrogé par le Réseau des journalistes centrafricains pour les droits de l’homme (RJDH)

 Pour leur part, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et ses organisations membres en Centrafrique se sont félicitées, dans, un communiqué conjoint, de la tenue de ce premier procès et du jugement rendu.

« Il ne s’agit probablement que d’une première condamnation pour le Général Andjilo, l’accusation n’ayant couvert qu’une partie des crimes dont il est suspecté », a fait remarquer Me Mathias Morouba, président de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme (OCDH). « Il n’est pas impossible que Andjilo puisse être appelé à répondre d’autres faits, qualifiables le cas échéant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, devant la Cour pénale spéciale », a ajouté Morouba, cité dans le communiqué.

Les FIDH et ses partenaires en Centrafrique espèrent que l’ouverture prochaine de  la Cour pénale spéciale (CPS), une juridiction mixte compétente pour les crimes graves commis en Centrafrique depuis 2003, permettra de faire la lumière sur d’autres crimes commis par Andjilo et ses éléments, et juger d’autres chefs de guerre centrafricains.

Un vœu partagé par le chef de l’opposition centrafricaine, Anicet Georges Dologuelé : «Je pense qu’il faut applaudir cela. Car il y a eu des crimes graves commis sur des Centrafricains. Je pense qu’il court beaucoup plus de criminels en dehors des tribunaux qu’aujourd’hui devant les tribunaux. J’espère que les autres qui sont en liberté connaîtront leur sort », avait souhaité Dologuelé, qui était interrogé par le RJDH alors que le procès était en cours.