Dans l'Afrique du Sud en deuil, "Winnie" héroïne intouchable

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"Héroïne" de la lutte de libération, "roc de notre nation", "battante hors du commun"... Au milieu de ce concert d'hommages, les rares voix qui osent rappeler les dérapages de l'icone de la lutte anti-apartheid Winnie Mandela sont vilipendées.

L'Afrique du Sud a décrété un deuil national et mis ses drapeaux en berne jusqu'au 14 avril, date des funérailles officielles de la très populaire "Winnie", décédée lundi à l'âge de 81 ans.

Dans le township de Soweto, près de Johannesburg, où elle vivait, voisins, admirateurs et personnalités politiques se pressent sans discontinuer pour présenter leurs condoléances à la famille de la militante politique et féministe, ancienne épouse du premier président noir d'Afrique du Sud, Nelson Mandela.

L'actuel chef de l'Etat, Cyril Ramaphosa, a salué "l'une des femmes les plus importantes de notre bataille" contre le régime raciste blanc, tombé en 1994.

Son prédécesseur, Jacob Zuma, a rendu hommage à "l'un des piliers" de la cause noire, qu'elle a défendue au prix de tortures, d'humiliations et de séjours en prison pendant les vingt-sept années d'incarcération de Nelson Mandela.

Dans ce festival d'éloges posthumes, l'ancien président Thabo Mbeki a pris le risque de faire tâche.

Il a certes loué le "courage" de Winnie Mandela, mais il a aussi rappelé son parcours complexe et controversé: ses appels à la violence et les méthodes musclées de sa garde rapprochée, le "Mandela United Football Club" (MUFC).

- 'Une erreur' -

En 1986, dans le township de Munsieville près de Johannesburg, la fougueuse Winnie avait lancé à la foule un véritable appel au meurtre en ces termes: "Ensemble, main dans la main, avec nos boîtes d'allumettes et nos colliers, nous libérerons ce pays". Une référence au supplice du pneu enflammé.

"C'était une erreur", a jugé M. Mbeki, un de ses camarades de lutte, qui a aussi dénoncé les dérapages du MUFC.

"Pour une personne comme elle qui a joué un rôle crucial" dans la lutte contre l'apartheid, a-t-il insisté, "salir ce rôle en étant impliquée dans des choses pareilles, c'était incorrect".

"Toutes ses décisions étaient-elles justes ?", s'est aussi demandé l'avocat de Winnie, Dikgang Moseneke. "Non, pas toutes (...) Avait-elle des limites ? Tous les héros en ont".

En 1991, Winnie Mandela avait été reconnue coupable de l'enlèvement d'un adolescent, Stompie Seipei, décédé ensuite. Sa condamnation à six ans de réclusion avait été commuée, en appel, en amende et deux ans de prison avec sursis.

"On doit reconnaître que quelque chose a mal tourné, terriblement mal tourné", avait estimé en 1997 le prix Nobel de la paix Desmond Tutu, l'un de ses fervents admirateurs.

"C'est vrai", avait-elle concédé la même année devant la Commission vérité et réconciliation, qui l'avait déclarée "coupable politiquement et moralement des énormes violations des droits de l'Homme" commises par le MUFC.

- 'Médisances' -

"Il faut se rappeler aussi bien les bonnes choses" que Winnie a "faites pour ce pays que les erreurs qu'elles a commises", a osé affirmer mercredi le journal sud-africain Sowetan, se démarquant là de la plupart des médias nationaux.

"Mama n'était pas un ange (...) Après tout, Winnie était simplement humaine", a insisté le quotidien.

Le gouvernement, lui, n'a pas apprécié ces "médisances" à l'encontre de Winnie, et dénoncé une "déformation malveillante" de la vérité, notamment de la part de médias internationaux.

"Les tentatives de présenter l'héritage" de Winnie Mandela sous un jour "clivant" rappellent la propagande du régime de l'apartheid, a jugé, furieuse, la ministre de la Communication, Nomvula Mokoynane.

Le chef de la gauche radicale, Julius Malema, protégé de Winnie, a lui aussi dénoncé les critiques visant "la mère de la nation", accusant "les racistes de l'insulter".

"Même après sa mort ils ont peur d'elle, et c'est pour ça (...) qu'ils continuent à la présenter sous un jour que nous ne connaissons pas", a-t-il déploré, "mais les masses connaissent la vérité".

"Tout au long de sa vie", Winnie "a dû se battre", rappelle l'hebdomadaire Mail & Guardian. "Et maintenant, il semble que la bataille se poursuive au-delà de la mort", regrette-t-il, exprimant une opinion largement répandue en Afrique du Sud.