OPINION

Opinion : il ne faut pas s'alarmer du référendum constitutionnel au Burundi

Opinion : il ne faut pas s'alarmer du référendum constitutionnel au Burundi©
Le Président du Burundi Pierre Nkunrunziza
6 min 56Temps de lecture approximatif

Le 17 mai 2018, les citoyens burundais décideront lors d’un vote référendaire d’adopter une nouvelle constitution ou de conserver l’ancienne, controversée.

Au cours de cette période pendant laquelle le pays se prépare au référendum, de nombreuses perceptions contradictoires émergent et souvent elles concernent les motivations réelles sous-tendant la réforme constitutionnelle à venir tout en s’inquiétant du moment choisi pour cet événement politique si important. Certains commentateurs et analystes politiques ont affirmé que l’objectif principal de la nouvelle constitution sera de permettre au président de se maintenir à la tête de l’Etat. Ils vont jusqu’à prophétiser une possible éruption d’une violence meurtrière. D’autres soutiennent le processus, affirmant que le Burundi a pleinement le droit d’organiser une telle consultation politique de la population. Ils insistent également sur la nécessité de modifier une constitution dont certaines clauses ou articles semblent effectivement contenir un certain nombre de failles qui permettent de nombreuses interprétations contradictoires. En effet, la position de la constitution sur certains points est parfois ambiguë et requiert l’interprétation de la cour constitutionnelle.

 L’échange récent entre le professeur Stef Vandeginste et l’ambassadeur Anatole Bacanamwo dans le journal Iwacu a mis en lumière un certain nombre de clauses constitutionnelles qui requièrent une clarification, ou dont l’interprétation ne fait pas consensus.

 

 Lacunes

Premièrement, la constitution présente des lacunes liées à l’interprétation concomitante des articles 96 et 302 de la constitution actuelle, en relation avec le mandat présidentiel. Par exemple, l’article 302 a été interprété comme traitant du mandat présidentiel par l’opposition. Pourtant, le même article a été considéré comme une référence au mode d’élection par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Curieusement, chacun semble fondé dans son interprétation. L’interprétation divergente des deux articles est considérée comme l’un des facteurs majeurs du vif désaccord entre le parti au pouvoir et l’opposition, qui a finalement culminé dans l’actuelle crise politique.

Deuxièmement, concernant le processus référendaire lui-même, il devient de plus en plus évident que la constitution actuelle manque de clarté sur la manière dont la réforme constitutionnelle devrait être menée. Par exemple, le professeur Vendeginste montre qu’il est difficile de savoir si le référendum doit être considéré comme étant décisoire ou facultatif. De plus, la constitution actuelle ne précise pas quel est le quorum de votants nécessaire pour adopter un amendement constitutionnel.

Troisièmement, le manque de précision concernant la manière dont les réformes constitutionnelles sont adoptées après le referendum a également fait débat. L’ambassadeur Bacanamwo affirme qu’après le vote référendaire, le Président de la République a le pouvoir de promulguer la nouvelle loi fondamentale, tandis le professeur Vendeginste démontre que la nouvelle constitution ne peut être promulguée qu’après avoir été adoptée par le Parlement et le Sénat. Ces quelques failles constitutionnelles abordées dans cette analyse, montrent que le besoin de révision constitutionnelle ne serait pas superflu. Il y a une réelle nécessité de réforme pour plus de clarté.

 Accords d'Arusha

Au-delà des clauses constitutionnelles et des articles ambigus, il est nécessaire de préciser quel texte prévaut, des Accords d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation ou de la constitution actuelle. Selon les leaders d’opposition, les accords d’Arusha signés en 2000, salués pour avoir mis fin au conflit ethnique, a un statut supra-constitutionnel lui donnant une position privilégiée par rapport à la constitution de 2005. Pour le parti au pouvoir, la constitution est indiscutablement la loi suprême et aucun autre accord ou loi ne devrait prétendre à la remplacer ou à occuper le même statut. Pour les membres du CNDD-FDD, les accords d’Arusha eux-mêmes n’ont pas mis fin au conflit, mais l’accord de cessez-le feu général signé en novembre 2003 doit être considéré comme l’étape finale ayant mené à un cessez-le feu effectif et à l’arrêt des hostilités.

 Certains ont le sentiment que l’éternelle référence aux accords d’Arusha réduit presque à néant les progrès effectués dans la lutte contre les clivages ethniques. En effet, les accords ont joué un rôle important dans l’atténuation des tensions ethniques et dans la création d’un nouveau contexte politique dans lequel les luttes politiques prennent le pas sur les confrontations ethniques. L’impact de l’accord d’Arusha est mis en évidence par le développement d’une coopération au-delà des lignes ethniques habituelles parmi les leaders politiques. Aujourd’hui, une coopération transcendant les frontières ethniques devient impérative pour tout groupe espérant être pris au sérieux ou tentant d’acquérir une légitimité politique de la part de la population burundaise. Une telle coopération est observée dans divers contextes : par exemple, même si le CNDD-FDD est présenté comme un parti pro-Hutu, il comprend plus de Tutsis dans ses instances dirigeantes que tous les autres partis politiques. En outre, au sein des différentes plateformes de l’opposition telle la plateforme CNARED, Hutus et Tutsis collaborent sur différents projets politiques. Il est clair donc que les clivages ethniques sont progressivement remplacés par une lutte politique pour le pouvoir menée par une élite ethniquement hétérogène. En retour, cette coopération inter-ethnique reste un facteur crucial dans la prévention de la violence de masse et la probabilité d’un génocide. Il semble donc que les accords d’Arusha ont pleinement joué leur rôle. Sur le long terme, cependant, les accords d’Arusha pourraient devenir inadaptés au contexte burundais, notamment si l’élite politique continue de collaborer au-delà des lignes ethniques et si les quotas ethniques restent incorporés dans la constitution.

D’autre part, les accords d’Arusha ne devraient plus être considérés comme une panacée. Comme le reflète la constitution, les accords sont devenus, à certains égards, un frein au bon fonctionnement des institutions gouvernementales. Certaines dispositions constitutionnelles, obligeant le parti vainqueur à inclure les membres de l’opposition dans le gouvernement, se sont révélées contre-productives. Elles ont créé un système politique dans lequel l’affiliation politique a plus d’importance que la performance, ce qui a une influence particulièrement négative sur la mise en place des politiques de développement ainsi que sur l’efficacité et la productivité des institutions et agences étatiques.

 Consensus

La nécessité de réformes constitutionnelles fait en réalité consensus chez beaucoup de Burundais. La principale difficulté a concerné la volonté politique de mener les réformes d’une manière plus inclusive. Par ailleurs, le nouveau projet de constitution a été élaboré avec l’ambition de répondre aux problèmes évoqués, qui sont manifestement cruciaux et qui ne permettent pas au gouvernement d’être plus efficace, en raison de l’opposition intra-institutionnelle qui s’observe. Par ailleurs, le temps dira si la nouvelle constitution renforcera les institutions politiques et leur donnera la possibilité de traiter les problèmes profondément ancrés de mauvaise gouvernance, de distribution inéquitable des ressources rares et de la corruption endémique. Un autre problème que la nouvelle constitution essayera de résoudre concerne le maintien ou l’abandon des quotas ethniques dans la constitution. Aux termes du nouveau projet de constitution, le Sénat aura le pouvoir de décider sous cinq ans, si les quotas ethniques doivent être conservés ou supprimés de la constitution révisée. Cette perspective est importante, mais a également d’immenses implications sur la stabilité du pays et doit être approchée avec précaution.

Evidemment, le débat autour des nouvelles réformes constitutionnelles et de la manière dont elles peuvent   affecter la nation burundaise reste intense mais quasiment limité aux élites. Dans un pays où l’immense majorité de la population est composée de paysans vivant en zone rurale (80%) et dont les besoins immédiats sont presque limités à la sécurité, l’alimentation, l’éducation et la santé, le débat vicieux et élitiste sur le référendum ne devrait pas être perçu comme un facteur de violence. Si le processus référendaire est marqué de violence, ce sera le résultat de manipulation politique et ce sera le résultat de facteurs exogènes. Il ne faut donc pas provoquer trop d’alarmes tout en réduisant le processus référendaire simplement à une source potentielle de violence.

Malheureusement pour le référendum à venir, l’opposition appelle une fois de plus au boycott. A mon avis, ceci constitue une autre mauvaise décision. Cette décision risque d’avoir un effet nul sur l’issue du vote. Plutôt que l’alarmisme et les appels au boycott, les dirigeants de l’opposition devraient encourager leurs sympathisants à prendre part à la campagne électorale pour voter le OUI ou le NON. La participation politique, plutôt que le boycott peut potentiellement avoir plus d’impact sur les nouvelles réformes. La victoire du OUI ou du NON déterminera de quelle constitution le pays disposera dans les années à venir. La participation de l’opposition au processus référendaire sera en même temps une occasion précieuse de récolter d’importantes informations sur son niveau de performance, sur sa popularité et sur de possibles réajustements en vue des élections de 2020. Bien entendu, pour permettre à tous les acteurs politiques d’exprimer leurs opinions sur la réforme constitutionnelle, le gouvernement devra s’assurer de l’existence d’un terrain de confrontation équitable, ce qui forcement réduira les tensions et conférera plus de crédibilité au vote.

 

Patrick Hajayandi travaille à l'Institut pour la Justice et la Réconciliation (IJR) en tant que Chef de projet pour la Région des Grands Lacs en Afrique. Il est titulaire d'une maîtrise en sciences politiques obtenue à l'université d'État de Rostov en Russie. Il a été chargé de cours à l'École nationale d'administration de Bujumbura au Burundi et il a travaillé comme consultant et chercheur pour le Programme transitoire de démobilisation et de réintégration (TDRP) de la Banque mondiale. À l'Institut pour la Justice et la Réconciliation, le principal projet de Hajayandi pour la Région des Grands Lacs est de contribuer au développement du leadership et de l'appropriation par les jeunes des processus de consolidation de la paix dans un contexte de réconciliation régionale. Ses publications se concentrent sur la transformation des conflits, la consolidation de la paix, les processus électoraux et la justice transitionnel.