OPINION

Réparations en Centrafrique : la CPS doit y penser maintenant

Près d’un an après l’adoption de son règlement de procédure et de preuve, la Cour pénale spéciale en République centrafricaine semble avancer. Elle a annoncé que les instructions en cours pourraient se conclure et mener à des procès à la fin de l’année prochaine. Mais la question des réparations, souvent la dernière à être abordée, doit être appréhendée dès à présent, explique le chercheur Nader Iskandar Diab.

Réparations en Centrafrique : la CPS doit y penser maintenant©Florent VERGNES / AFP
Un jeune Centrafricain blessé à la tête par une balle perdue à Bangui : quelles réparations pour les victimes en RCA ?
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La Cour pénale spéciale (CPS) a reçu compétence, par sa loi fondatrice, pour juger des violations flagrantes des droits humains et du droit humanitaire en vertu du Code de procédure pénal de la République centrafricaine (RCA) et de ses obligations internationales, à savoir les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui auraient été commis en RCA depuis le 1er janvier 2003. La perspective d’un procès et d’une condamnation, si l’accusé est déclaré coupable, soulève inévitablement la question des réparations pour les victimes qui se constitueront partie civile. En effet, la CPS peut accorder des réparations individuelles et/ou collectives, qui peuvent comprendre des compensations financières, un soutien psychologique et des fonds agraires ou industriels. Cependant, aucun mécanisme de fonds spéciaux n’est envisagé dans le cadre de la CPS pour superviser la mise en œuvre des réparations. Pour autant, cette étape n’est pas négligée par le Règlement de procédure et de preuve (RPP).

Compte tenu des immenses défis qui attendent la CPS, en particulier la conduite d’enquêtes dans le contexte sécuritaire ambiant, il peut sembler étrange, à première vue, de discuter des réparations à cette étape de l’existence de la Cour. Néanmoins, si les réparations figurent parmi les dernières questions abordées au procès, leur bonne mise en œuvre exige que les problèmes soient traités dès le tout début de la procédure. La mise en œuvre des réparations ordonnées par les tribunaux, en particulier dans les affaires de crimes internationaux, s’est avérée être une question extrêmement délicate dans le monde entier, y compris à la Cour pénale internationale (CPI). Le défaut d’exécution a creusé un fossé considérable entre les réparations accordées et ce que les victimes reçoivent réellement.

Une approche proactive du greffe

Il est intéressant de noter qu’à la CPS, le RPP semble avoir fait le point sur ces défis et suggéré de nouvelles façons de les surmonter en exigeant que le greffe adopte une approche proactive bien avant qu’une décision ne soit prononcée en matière de réparations. L’article 47 prévoit ainsi la création d’un « service d’aide aux victimes et à la défense » au sein du greffe. Ce service devrait être chargé, entre autres, d’informer les victimes de leurs droits et de coordonner l’assistance judiciaire pour les accusés indigents. La disposition intéressante sur les réparations se trouve au paragraphe d) de l’article 47 : elle demande à ce service d’élaborer « des lignes directrices à l’intention des juges, des chambres et des parties civiles déterminant les formes de réparation les plus appropriées pour répondre à la nature et à l’étendue des préjudices causés aux parties civiles ».

Ces lignes directrices doivent permettre d’élaborer « des propositions de financement au cas où les personnes condamnées par la Cour ne possèderaient pas d’avoirs suffisants pour réparer les dommages causés ». Elles exigeraient que ce service élabore rapidement des méthodes de travail cohérentes et rationalisées pour déterminer les types de réparations appropriés compte tenu du nombre important de victimes et d’identifier les possibilités de financement. La collecte de fonds, comme nous le verrons plus loin, est une pierre d’achoppement majeure pour faire des réparations une réalité. Des méthodes de travail efficaces telles que celles envisagées à l’article 47(d) peuvent grandement aider la CPS à s’acquitter de son mandat en matière de réparations.

Tirer les leçons du passé

D’autres dispositions du RPP qui visent à renforcer les pratiques de gestion de la CPS sont susceptibles d’appuyer les efforts déployés par le greffe pour relever ces défis. Les rédacteurs de son règlement semblent avoir été conscients du fait que, pour que la Cour puisse s’acquitter de son mandat, l’efficacité globale de sa procédure devait permettre de surmonter les longues procédures qui caractérisent souvent les tribunaux internationaux ou internationalisés. Le RPP fixe des délais et les organes de la Cour sont responsables des retards. Par exemple, l’article 49 du RPP prévoit un « Comité de direction » qui comprend les chefs des principaux organes de la Cour, dont le président, le greffier et le procureur spécial. Ce comité doit se réunir au moins une fois par trimestre pour coordonner les activités judiciaires, administratives et budgétaires et fournir des avis pertinents.

L’expérience des programmes de réparations de masse dans le monde montre comment l’efficacité des procédures peut grandement contribuer à réduire les coûts et accélérer la mise en œuvre. A contrario, la mauvaise gestion du Fonds au profit des victimes de la CPI a entraîné des retards considérables dans l’octroi des réparations depuis la première condamnation de Thomas Lubanga Diylo (République démocratique du Congo) jusqu’aux critiques sévères émises par les Chambres concernant la mise en œuvre des réparations dans l’affaire Ahmad al Faqi Al-Mahdi (Mali).

Collecter des fonds : un défi politique

Le plus important défi pour les réparations est le manque de moyens. Les juges de la CPS sont tenus d’ordonner des réparations à la mesure des préjudices subis par les victimes et en fonction de leurs besoins. Ces besoins sont normalement déterminés par des consultations avec les victimes et leurs représentants. Compte tenu de la gravité des violations subies en RCA, il est fort probable que les formes symboliques de réparation (par exemple, les commémorations) ne suffiront pas. Une combinaison de différentes formes de réparations pourrait être plus appropriée. Mais le nombre de victimes et la diversité des formes de réparations ordonnées augmenteront probablement le coût global.

Le premier financement doit venir des actifs du condamné. S’il est courant que les accusés dans les affaires de crimes internationaux soient indigents, ce n’est pas nécessairement la règle. Jean-Pierre Bemba Gombo, qui a été jugé et acquitté en appel devant la CPI pour des crimes présumés commis en RCA, avait d’importants avoirs gelés qui auraient pu être utilisés pour des réparations s’il avait été reconnu coupable – bien que sa défense affirme que ses avoirs ont perdu de la valeur en raison de la mauvaise gestion de la CPI.

La deuxième voie à considérer est la collecte de fonds, qui pour réussir exige des compétences mais aussi un soutien politique. Les bailleurs et en particulier les États sont réticents à fournir des fonds pour les réparations qu’ils perçoivent comme étant de la responsabilité de l’accusé et qui ont tendance à préférer investir dans l’aide au développement. Le procès pénal a tendance à attirer davantage d’attention que la phase des réparations. La popularité d’un procès devrait être un atout dans la collecte de fonds. Mais l’on peut aussi mettre en regard l’intérêt des médias pour le procès de Hissène Habré, avec le défaut de mise en œuvre des réparations attribuées aux victimes tchadiennes.

Vers une politique nationale de réparation en RCA ?

L’attention et les ressources des bailleurs pourraient s’orienter en RCA non seulement vers l’aide au développement, mais aussi vers d’autres mécanismes potentiels de justice transitionnelle, notamment la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation, ou un fonds national pour l’indemnisation des victimes. L’idée d’une commission vérité et d’une politique nationale de réparation est dans l’air depuis un certain temps. Elle est apparue au Forum de Bangui en 2015 et revenue dans le récent accord de paix de Khartoum, signé en février 2019. Contrairement aux réparations ordonnées par un tribunal, qui souffrent de n’être accordées qu’aux victimes constituées parties civiles dans des procès aboutissant à une condamnation, des efforts déployés à l’échelle nationale peuvent être conçus de manière plus inclusive et octroyer des réparations proportionnelles à l’ampleur des crimes.

S’attaquer à la question des réparations dès le départ va être une tâche ardue pour le service d’aide aux victimes de la CPS. Cela pourrait signifier que les réparations ne figureront pas parmi les questions les plus urgentes que le greffe va traiter au début de la procédure, ce qui est compréhensible étant donné l’ampleur de son mandat et ses ressources financières et humaines limitées. Néanmoins, l’espoir de surmonter les difficultés des réparations au moment de la mise en œuvre s’est jusqu’ici avéré être un pari perdu qui, en RCA, est susceptible d’entraîner une frustration importante chez les victimes.

Nader Iskandar DiabNADER ISKANDAR DIAB

Nader Iskandar Diab est chercheur en droit international. Ancien conseiller juridique à Redress Trust, il a travaillé à l’amélioration de l’accès des victimes à la justice et aux réparations devant les juridictions nationales et internationales. Il est titulaire d’un master en droit international humanitaire et droits de l’homme à l’Académie de Genève.

Cet article a été rédigé à titre personnel et ne reflète pas nécessairement les opinions des employeurs actuels et anciens de l'auteur.