Habré reste en prison mais renforce ses soutiens

Quatre ans après la confirmation en appel de sa condamnation à la prison à perpétuité, Hissène Habré reste en prison. La demande de l’ancien président du Tchad de bénéficier d’une remise en liberté a été rejetée, le 20 avril, par la justice sénégalaise. Mais Habré a montré qu’il disposait toujours du puissant soutien de certains chefs religieux. Et obtenu, à la surprise générale, celui d’un ancien directeur régional d’Amnesty International.

Hissène Habré
Hissène Habré, ici lors de sa mise en accusation en 2013, n'a pas obtenu de nouvelle permission de sortie de prison. © AFP
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« Je suis favorable à la demande de permission pour la sortie de Hissène Habré», déclare Alioune Tine, le 10 avril dernier, dans le journal sénégalais « Le Quotidien ». La déclaration du célèbre défenseur des droits de l’homme fait suite à une requête déposée par les avocats de l’ancien président du Tchad, condamné à la perpétuité en 2016, demandant une autorisation de sortie de six mois pour « raisons sanitaires ». Elle provoque la plus grande surprise auprès de beaucoup de Sénégalais mais surtout au sein de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH). Pendant des années, L’AVCRHH a en effet compté sur le soutien d’Alioune Tine, ancien directeur régional d’Amnesty International et l’un des militants les plus engagés dans la lutte ayant mené à la traduction en justice de Habré pour des crimes commis au Tchad entre 1982 et 1990.

Que s’est-il passé pour que ce militant des droits de l’homme de premier plan vire ainsi de position ? Toujours dans « Le Quotidien », Alioune Tine dit avoir été sensibilisé par Thierno Madani Tall. Ce dernier n’est pas n’importe qui. Il est le représentant du Khalife de la famille omarienne à Dakar, l’une des principales familles religieuses appartenant à la confrérie Tidjanyya, la plus représentée au Sénégal (environ 60 % des Sénégalais en feraient partie) et qui a toujours affiché son soutien à Habré.

Le « pieu bienfaiteur » de Ouakam

L’ancien président du Tchad a longtemps bénéficié du soutien d’une partie des chefs religieux du Sénégal, en particulier celui de la famille omarienne. A son arrivée au Sénégal en 1990 après avoir fui le Tchad, Habré n’est pas les mains vides. Il dispose dans ses valises d’un pactole estimé à 5 milliards de francs CFA (un peu plus de 8 millions de dollars) qu’il aurait volé au Trésor tchadien. Il s’est alors « rapproché des chefs religieux et s’est montré sous les traits d’un musulman chassé de son pays par des ennemis complices de l’Occident, en quête d’adoption. Il épouse une femme sénégalaise, de confession musulmane de surcroît », confie un observateur de la scène politique qui tient à l’anonymat. Cette attitude lui permet de gagner très vite la sympathie de ces grandes et très puissantes familles. Certains de ces religieux voient en lui « un homme bon et pieu ». Il est « l’hôte dont il faut prendre soin », ajoute la même source.

Dans son quartier huppé de Ouakam, à Dakar, l’ex-homme fort de Ndjaména se montre également « sympathique » mais surtout « généreux » avec ses voisins, les dignitaires lébous, une communauté du littoral sénégalais, et certains intellectuels avec qui il entretient de bons rapports. « Il participait à la vie de la communauté, allait à la mosquée qu’il a contribué à financer, apportait un soutien financier au village lors des activités culturelles, sportives ou religieuses », confie un habitant de Ouakam. Certains soutiennent que c’est grâce à son argent qu’il a ainsi pu constituer ce bouclier de protections locales dont il jouit encore aujourd’hui. A la veille de son procès en 2015, ces communautés lui avaient d’ailleurs manifesté un soutien bruyant. Ils avaient multiplié les appels et les conférences de presse plaidant sa cause et dénonçant son procès. Ces efforts n’avaient finalement pas empêché le jugement de Habré et sa condamnation pour crimes contre l’humanité, torture et crimes de guerre, mais la volonté de lui écourter son séjour carcéral ne s’est pas éteinte.

L’échec de la défense

Ses avocats ont invoqué des raisons de santé et la menace de la pandémie de Covid-19 pour motiver leur demande de sortie de prison. Selon une source judiciaire, ces raisons sont erronées. « Hissène Habré est détenu dans un pavillon spécial où il est seul. Il n’est pas en interaction avec les autres détenus. Il n’est donc pas exposé au coronavirus », souligne cette source. En outre, de 300 à 400 nouveaux cas de coronavirus par jour il y a un mois, le pays est passé à 15 cas, d’après les chiffres rendus publics le 20 avril par les services du ministère de la Santé et de l’Action sociale.

Le 16 avril, quatre rapporteurs des Nations-unies ont, dans une tribune, exprimé leurs « graves préoccupations quant à la libération temporaire de l’ancien président du Tchad dans le contexte de la pandémie COVID-19, sans justification apparente de santé publique, en violation des normes internationales concernant la responsabilité des violations flagrantes des droits de l’homme ». Le juge d’application des peines a finalement tranché dans le même sens, rejetant la demande de permission de sortie introduite le 29 mars par les avocats de Habré.

Il y a un an, le 6 avril 2020, Habré avait obtenu de quitter le pavillon spécial de la maison d’arrêt du Cap Manuel, à Dakar, pour rejoindre sa famille, en étant placé en résidence surveillée pour une permission de sortie de 60 jours. Ses soutiens et le ralliement inattendu d’Alioune Tine ne lui ont pas suffi, cette année, pour renouveler l’opération. Au lendemain de la décision du 20 avril, ses avocats ont été réduits à dénoncer, dans un communiqué, un système qui « étouffe un homme, ses droits les plus élémentaires », à savoir le droit à la santé.

Toujours pas de réparations pour les victimes

Assane Dioma Ndiaye, avocat des parties civiles, préfère quant à lui rappeler le sort « douloureux » des victimes. « Il n’est pas indiqué d’avoir une attitude discriminée juste en faveur de Habré », plaide-t-il. « Rien n’a été fait pour rendre effective leur réparation. Les fonds d’indemnisation des victimes ne sont pas constitués comme stipulé par la décision des juges des Chambres africaines extraordinaires (CAE) », le tribunal interafricain qui avait été spécialement établi pour juger Habré.

Dans son jugement, les CAE avaient accordé aux victimes du régime de Habré une indemnité de 82 milliards de francs CFA (un peu plus de 125 millions d’euros). Les avocats des parties civiles avaient aussitôt obtenu le gel de certains comptes du condamné et la saisie de deux de ses maisons. Mais jusqu’à ce jour, précise Ndiaye, ils n’ont pas pu procéder à la vente des biens saisis à cause de « problèmes de coordination entre les différentes parties civiles ». L’avocat déplore aussi l’attitude « passive » de l’Union africaine qui tarde à installer les membres du Comité chargé du Fonds fiduciaire d’indemnisation des victimes. Le maintien en détention de Habré ne pourra donc sans doute consoler ses victimes que partiellement.

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