Au Kasaï, la justice envers et contre tout

C’est le troisième procès pour crimes de guerre d’anciens membres de la milice Kamuina Nsapu. Le 19 avril, sept anciens membres du mouvement insurrectionnel ont été condamnés pour des crimes de guerre commis en 2017 au Kasaï Central. Avec la même détermination à aller siéger au cœur des communautés affectées, dans des conditions particulièrement éprouvantes.

Audience foraine dans un village du Kasaï (RDC). Les 7 accusés du procès Kamuina Nsapu sont au centre, entourés de militaires et d'une foule de villageois.
Du 12 au 19 avril, la justice militaire congolaise s'est déplacée en "audience foraine" à Bena Ba Ntumba, au Kasaï Central. © Joseph Mbuyi
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Les usagers de ce tronçon le surnomment le « chemin de la croix ». Il relie Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï Central, en République démocratique du Congo (RDC), à la bourgade de Bana ba Ntumba. 180 kilomètres seulement, qu’il a fallu deux jours à la délégation du tribunal militaire de garnison de Kananga, aux avocats, aux sept prévenus ainsi qu’aux militaires commis à leur garde, pour parcourir dans un de ces gros camions militaires Camaz de fabrication russe. Partis le samedi 9 avril, ils sont arrivés le 11 à minuit. Un véritable calvaire dû à l'état de délabrement de cette voie routière, qui n’a pourtant pas découragé le convoi judiciaire. Du 12 au 19 avril, la ville de Bana ba Ntumba, au sud-ouest de Kananga, a accueilli les audiences foraines du procès d’anciens membres de la milice Kamuina Nsapu pour crimes de guerre, après qu’une première audience ait eu lieu, le 8 avril, à Kananga.

La voiture de notre correspondant est embourbée sur le chemin du procès, au Kasaï. Des habitants locaux aident le chauffeur.
Sur le "chemin de la croix", entre Bena Ba Ntumba et Kananga, des villageois aident notre correspondant à sortir de l'embourbement. © Joseph Mbuyi

Les violences incriminées ont eu lieu en mai 2017, au cours des affrontements meurtriers qui ont opposé le mouvement Kamuina Nsapu aux forces armées de la RDC. Kamuina Nsapu a constitué une nébuleuse de milices établies dans les différents territoires et provinces des Kasaï, qui se sont revendiquées de ce mouvement sans forcément être toutes liées du point de vue organisationnel et hiérarchique. 

Dans ce procès sur le territoire de Dimbelenge, aux confins du Kasaï Central, on compte 255 parties civiles. Les sept hommes présents – deux autres accusés demeurent en fuite – sont entre autres poursuivis pour des meurtres, des décapitations, des tortures, qualifiés de crimes de guerre, et pour participation à un mouvement insurrectionnel, association de malfaiteurs, terrorisme. Les attaques ont touché plusieurs villages, dont la localité de Bana ba Ntumba, où la cour a donc décidé de se déplacer.

Peine capitale pour tous

La population de ce gros bourg vit en majorité des travaux champêtres. Les jeunes du coin sont pour la plupart des creuseurs artisanaux à la recherche du diamant. On y voit peu de maisons en tôle, hormis l'église catholique qui a des infrastructures paroissiales adaptées à une petite ville.

Les prévenus présents - Ngalamulume Mbombo wa Mesu alias Sadam, Martin Lumpungu Kasongo alias Tshidibuelele, Kabalenge Kabalenge, Evariste Tshibaka Mukengeshayi, Jean Muenyi Badipu, Mupenda Tshielela alias Kester, Pierre Katanga Sewudi Mbelu - plaidaient tous non coupable. A l’audience, une vidéo de l'exécution d'une victime a été diffusée dans laquelle on reconnaît l’un des prévenus, Martin Lumpungu, qui apparaît comme étant en train de commander les miliciens et les rappeler à l'ordre. Dans son réquisitoire, le premier substitut, le lieutenant-colonel Papy Yumembuli, a requis la peine de mort contre tous les prévenus. Les parties civiles ont réclamé des dommages et intérêts équivalent à 22 000 dollars pour les préjudices subis.

Les 7 accusés du procès Kamuina Nspau au Kasaï (RDC) portent un uniforme coloré et sont assis sur des banc en bois, en plein air.
Les sept accusés présents ont été condamnés à la peine capitale pour les violences commises par la milice Kamuina Nsapu, en 2017. © Joseph Mbuyi

La tension était palpable à Bana Ba Ntumba et, le matin du 19 avril, le tribunal militaire a décidé de rendre son jugement dès le soir même, alors qu’il était annoncé pour le lendemain. A une heure vespérale, voici la population qui accourt pour assister au jugement historique. Aucune circonstance atténuante n’est retenue par les juges qui ont, en conséquence, condamné les sept hommes « à la peine capitale », annonce le président du tribunal, le lieutenant-colonel Jean-Claude Nawej (la peine de mort existe en RDC, mais elle n’est pas appliquée). Les deux accusés absents reçoivent la même sentence, par contumace. Joie pour certains et tristesse pour d'autres. Les pleurs pour les familles des condamnés, la liesse dans les autres rangs.

Trois procès en un an

Les avocats de la défense font immédiatement appel. « Du côté du collectif des avocats de la défense, le juge s'est contenté des seules déclarations de prétendues victimes pour condamner les prévenus alors qu’il y avait insuffisance des preuves. C’est pourquoi les prévenus ont relevé appel sur le banc, avec espoir que ce jugement sera annulé », explique l'avocat Alidort Mampuya. Pour des parties civiles, les prévenus méritaient, au contraire, une sanction exemplaire. « Plus jamais ça. Le juge qui était indépendant n'a dit que le droit », lâche l’un des avocats des familles de victimes.

Comme prêts à attaquer les condamnés, au souvenir des tristes périodes traversées, un groupe de jeunes va jusqu’à suivre la délégation jusqu'à la sortie de l’agglomération. Qui quitte la bourgade pour de très longues heures de piste boueuse et d’embourbements probables.

Il s’agissait du second procès au Kasaï Central sur ces violences de 2017. En mars 2021, un premier procès pour crimes de guerre avait eu lieu dans cette province. Un ancien chef de Kamuina Nsapu avait été reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité. En octobre 2021, un autre procès des milices Kamuina Nsapu avait eu lieu dans la province voisine du Kasaï. Deux anciens membres du mouvement avaient été condamnés, dont un à la peine de mort.

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