Génocide rwandais: devant la justice française, la défense veut semer "le doute"

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Contre la perpétuité requise à l'encontre de Tito Barahira, l'avocat de l'ancien bourgmestre rwandais jugé en France pour génocide a plaidé mardi l'incertitude et le "doute raisonnable", dans un dossier vieux de 22 ans où les témoins se contredisent.

Devant la cour d'assises de Paris, à l'issue de huit semaines d'audience, Me Philippe Meilhac a décrit "un homme au bout du chemin".

Loin du tueur "granitique" décrit par l'accusation, il a par petites touches dressé le portrait d'un homme de 65 ans "gravement malade" - il est dialysé trois fois par semaine - issu d'une famille de paysans, qui a été promu fonctionnaire, puis bourgmestre de son village, pendant dix ans (1976-86), avant de devenir employé de la compagnie d'électricité. Un homme plus porté "sur l'argent que sur le pouvoir".

Accusé avec Octavien Ngenzi, son successeur à la tête de sa commune, de crime contre l'humanité et de génocide contre les Tutsi en avril 1994 à Kabarondo, il nie tout, en bloc. 

Pour la première fois depuis le début du procès, cet homme imposant à la moustache grisonnante a délaissé son fauteuil rembourré pour le banc de bois, juste derrière son avocat, dernier rempart contre la perpétuité.

 

- 'Aucune certitude' -

 

Me Meilhac "n'a aucune certitude" dans ce dossier où la réalité n'est pas "aussi simpliste que l'avocat général a voulu le faire croire". Pendant deux heures et demie, l'avocat tentera d'adoucir l'image d'un ancien dirigeant "craint" qui a nié le génocide, d'un "tueur brutal", dessinée par des dizaines de témoins.

Trois épisodes principaux accablent l'ancien fonctionnaire: sa participation à des attaques dans son secteur de Cyinzovu, une réunion sur le terrain de football de son secteur, où plusieurs témoins affirment qu'il a appelé à "tuer les Tutsi", et le massacre des réfugiés de l'église, où Barahira est vu armé, en chef, au milieu des tueurs.

Me Meilhac pointe d'abord le problème de la chronologie: certains témoins situant la réunion du terrain de football le matin précédant le massacre de l'église: "Barahira ne pouvait être à la fois" aux deux endroits.

Il s'attaque aussi aux motivations de ces témoins à charge du terrain de foot, qui, "chose étrange", étaient "tous détenus dans la même prison".

Sans endosser l'accusation "maladroite" de complot portée par son client, qui voit dans ses détracteurs des tueurs espérant une réduction de peine, il évoque des "syndicats de la délation".

L'accusation avait elle abondamment raillé la journée idyllique de Barahira le 13 avril, qui alors que plus de 2.000 réfugiés étaient massacrés à l'église, allait couper de l'herbe pour ses veaux, puis venait faire un petit tour au village sans voir aucun corps avant d'aller réparer un transformateur à 40 km de là.

"Il ne voit pas les corps qui sont à l'intérieur de l'église", dit son avocat, n'entend pas les cris de victimes "pétrifiées". Et surtout, Philippe Meilhac s'interroge sur les "souvenirs reconstitués" de témoins "qui ne sont pas des menteurs", 22 ans après les faits.

"Si on veut traiter Barahira de menteur, il faut le démontrer, affirme-t-il. On n'est pas devant les gacaca", ces tribunaux populaires rwandais qui ont jugé près de deux millions de personnes accusées de participation au génocide, qui peuvent "en une heure condamner à la perpétuité".

Reconnaissant lui-même avoir eu parfois du mal à communiquer avec le taiseux Barahira, il a plaidé le "doute raisonnable quant à la culpabilité" de l'ancien bourgmestre. 

L'avocate d'Octavien Ngenzi devait également plaider de mardi. Le verdict est attendu mercredi.