"Non, c'est non": quand l'Allemagne bouleverse sa définition du viol

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L'Allemagne a bouleversé jeudi sa définition du viol, jusqu'alors plus restrictive qu'ailleurs, avec un vote du Parlement qui tranche un tumultueux débat ravivé par les agressions du Nouvel An à Cologne et le procès d'une jeune mannequin.

Tout acte sexuel commis "contre la volonté identifiable d'une autre personne" est désormais une infraction pénale, prévoit ce texte adopté par le Bundestag à l'unanimité des 601 votants et salué par une ovation debout, face à la chancelière Angela Merkel.

Ces quelques mots constituent un renversement de perspective en Allemagne, en faisant de l'absence de consentement l'unique critère du viol, conformément à la convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe signée en 2011 par Berlin.

L'adoption de la loi, encore soumise à l'approbation de la chambre haute à l'automne, "sera une étape importante sur la voie de l'élimination de la violence à l'égard des femmes", et "devrait encourager" d'autres gouvernements, s'est réjoui le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjorn Jagland.

L'actuel article 177 du Code pénal allemand, qui remonte à 1998, cantonne le viol aux relations sexuelles obtenues "par la violence, par une menace portant sur la vie ou l'intégrité corporelle", ou lorsque la victime se trouve "privée de toute défense".

 

 - Emotion post-Cologne -

 

Ce texte, qui exclut les rapports imposés sous la menace de représailles professionnelles ou lorsque la victime est ivre, inconsciente ou tétanisée, est depuis longtemps critiqué pour son caractère restrictif.

La BFF, un mouvement de soutien aux victimes de violences, avait répertorié en 2014 107 cas d'agressions sexuelles échappant aux poursuites. Il a salué jeudi "l'important changement de paradigme" que représente le vote.

Le gouvernement avait présenté en mars son projet de loi qui s'abstenait de toucher à l'article 177 et ajoutait seulement un nouveau cas "d'abus sexuel", couvrant les relations avec une personne "incapable de résistance".

Mais cette voie prudente a été balayée par un double mouvement: l'émotion née des centaines d'agressions sexuelles contre des femmes commises le soir du Nouvel An à Cologne (ouest), qui ont abouti jeudi à deux premières condamnations pour "harcèlement", et le procès pour "dénonciation calomnieuse" d'une mannequin qui avait porté plainte pour viol.

Rien ne rapproche ces deux événements, sinon leur influence directe sur le travail législatif: l'exemple de Cologne dicte plusieurs dispositions du nouveau texte adopté jeudi, alors que l'affaire Gina-Lisa Lohfink a relancé la campagne du "non, c'est non".

Le "pelotage" en "groupe" est désormais une infraction spécifique - déjà critiquée, tant l'enquête sur Cologne a buté sur l'absence de suspects identifiables plutôt que sur des difficultés légales - et les étrangers condamnés pour un délit sexuel pourront être expulsés.

 

 - 'Tâche insoluble' -

 

Les déboires de la mannequin Gina-Lisa Lohfink, jugée à Berlin pour avoir accusé à tort de viol un footballeur et un employé d'un club berlinois, alors qu'on l'entend dire "non" et "arrêtez" sur une vidéo la montrant avec ces deux hommes, ont suscité une vague de soutien sur les réseaux sociaux, derrière le mot-dièse #TeamGinaLisa.

Hors du Bundestag, la proclamation par la loi du "non, c'est non" est cependant loin de faire l'unanimité et suscite deux types de critiques opposées, portant sur son principe ou sur sa portée réelle.

Ses premiers détracteurs craignent une multiplication des dénonciations mensongères qui ferait de la chambre à coucher un "lieu dangereux", soumis aux revirements de l'un des partenaires, avance l'hebdomadaire Die Zeit.

A l'inverse, du côté des juristes, on redoute que le texte ne crée "des attentes trop élevées" des victimes, sans aboutir à des condamnations plus nombreuses ni changer en profondeur l'appréciation des tribunaux, avertit le quotidien Tagesspiegel.

Punir tous les viols "est, dans la pratique juridique, une tâche insoluble", rappelle le journal, tant il est difficile de prouver "un crime que pratiquement rien ne différencie, de l'extérieur, de ce que des millions de gens font chaque jour".

Pour le quotidien berlinois, retoucher la définition du viol ne résout en rien la difficulté posée, dans la plupart des cas, par l'absence de témoin: choisir la parole de l'un contre celle de l'autre.