Dans le train du retour, des électeurs zimbabwéens rêvent de changement

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Dans la nuit glaciale, le train traverse lentement les plaines arides du nord de l'Afrique du Sud, direction la frontière zimbabwéenne. Des immigrés rentrent chez eux pour voter lundi, espérant le changement à l'occasion de la première élection présidentielle depuis la chute de Robert Mugabe. 

"Le peuple zimbabwéen a besoin d'une nouvelle vie pour oublier les temps difficiles qu'ils ont vécus sous le règne du vieux Mugabe", estime Emile Manyikunike, 36 ans, portant un blouson en cuir noir sur un tee-shirt Bob Marley.

Lâché par l'armée et son parti la Zanu-PF, aux commandes depuis 1980, Robert Mugabe a été contraint à la démission en novembre, à l'âge de 93 ans et après trente-sept ans au pouvoir.

Pendant son règne, l'économie du Zimbabwe s'est effondrée et des millions d'habitants ont fui, souvent en Afrique du Sud voisine, la principale puissance industrielle d'Afrique, pour chercher du travail et échapper à la répression politique.

"Les gens se faisaient frapper par la police quand ils n'étaient pas d'accord avec le gouvernement et on ne pouvait même pas faire confiance à nos voisins parce qu'il y avait des espions de la Zanu-PF à tous les coins de rue", explique à l'AFP Emile Manyikunike, un auto-entrepreneur.

"Ce train me ramène à la maison pour que je puisse voter et apporter le changement", lance-t-il plein d'espoir.

Les six wagons viennent de quitter la gare centrale de Johannesburg pour parcourir en 15 heures les 600 kilomètres jusqu'à Messina, à une dizaine de kilomètres de la frontière zimbabwéenne.

Le train vient de reprendre du service en février après une interruption de trois ans. Il a beau avoir été modernisé, les coupures de courant restent fréquentes dans les wagons pendant le trajet de nuit.

 

- "La Zanu-PF gagne toujours" -

 

A bord, des électeurs zimbabwéens côtoient ce vendredi soir des habitués, chargés de maïs, couvertures ou encore lessive.

Lundi, Emile Manyikunike votera Nelson Chamisa, le jeune leader du principal parti d'opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), et principal adversaire du nouveau président, Emmerson Mnangagwa, membre de la Zanu-PF.

"Chamisa doit s'assurer que tous les Zimbabwéens ont du travail afin que même ceux qui sont partis puissent revenir et que nous puissions reconstruire le pays", prévient Emile Manyikunike.

Comme lui, une infirmière zimbabwéenne qui travaille en Afrique du Sud rentre exprès au pays pour voter. Le vote par procuration depuis l'étranger est interdit.

"On rentre à la maison parce qu'on veut un nouveau pays. On s'est tapé pendant 37 ans ce vieil homme. Il ne pensait qu'à lui", lance la mère de famille, qui préfère rester anonyme.

"Je vais voter pour le jeune Chamisa", assure-t-elle. L'opposant affiche fièrement ses 40 ans, contre 75 ans pour le président Mngangagwa, un ancien bras droit de Robert Mugabe.

"Les vieux sont restés bloqués dans le passé. Leur cerveau est vieux aussi, ils ne peuvent pas penser correctement", estime la jeune femme.

Non loin d'elle, Gertrude Tshabalala, une domestique de 58 ans employée en Afrique du Sud, va rendre visite à ses petits-enfants. Dans ses bagages, elle ramène de la viande, de la nourriture en conserve et des casseroles.

"La Zanu-PF gagne toujours", prévient cette Zimbabwéenne. "Mais deux de mes petits-enfants sont en âge de voter cette année et j'espère que leur vote va compter, pas comme le mien dans le passé."

Des voyageurs affamés se dirigent vers le wagon restaurant. Au menu: purée de maïs, steak et poulet, arrosés de bière ou de cidre.

La nuit s'installe. Les moins fortunés, qui ont déboursé 190 rands (12 euros) pour une place assise, somnolent en posant leur tête sur leurs bagages. Les autres s'allongent dans leur couchette à 310 rands, auquel il faut rajouter 60 rands pour un oreiller, des draps et une couverture toute fine.

Au petit matin, le train arrive à son terminus, Messina. La plupart des passagers embarquent immédiatement dans des mini-bus taxis pour le poste-frontière de Beitbridge, qui grouille d'activités.

Du côté sud-africain de la frontière, un chauffeur zimbabwéen, Andrew Kumalo, 45 ans, se démarque des passagers du train.

"Le pays a besoin de gens expérimentés, pas d'une expérience, estime ce partisan de la Zanu-PF. Un nouveau balai nettoie mieux certes, mais une vieille couverture est toujours plus confortable. Nous devons garder notre parti révolutionnaire."

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