Dossier spécial « CPI cherche procureur désespérément »

La CPI cherche un nouveau procureur et sort une pochette surprise

Le 30 juin, le comité de sélection chargé de présenter des candidats pour le poste le plus important de la Cour pénale internationale - le Procureur - a publié une liste restreinte de quatre noms. Aucun des "poids lourds" n'y figure. Choc, surprise, inquiétude, espoir et toutes sortes de spéculations animent les experts en droit pénal international. Et la course à l’élection n'est pas terminée.

La CPI cherche un nouveau procureur et sort une pochette surprise
Le comité chargé de présenter une liste restreinte de candidats au poste de procureur de la CPI a créé la surprise, le 30 juin, en sélectionnant un quatuor plutôt inattendu. © JusticeInfo.net
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La dernière ligne droite est officiellement atteinte. Dans moins de six mois, le nom du nouveau procureur de la Cour pénale internationale (CPI) sera connu. Il s'agit sans doute de la fonction la plus importante de la justice pénale internationale et elle n'est pourvue que tous les neuf ans.

Le 1er juillet, l'Assemblée des États parties à la CPI (AEP, l'organe directeur de la Cour) a ouvert la période de nomination des candidats par les États membres. Afin de mieux serrer le processus habituel où les États concernés se concertent dans les couloirs et les salles de réunion de l'Onu et organisent le tout en coulisses, l'AEP a décidé qu'un nouveau comité de sélection les aiderait à préparer l'élection en décembre. Ainsi, depuis un an, cinq représentants des différentes zones géographiques de la Cour ont lancé un appel à candidatures - et l'ont réédité lorsque 55 noms seulement avaient été déposés - portant le total à 89 seulement. Ils ont fourni une distribution des candidats par sexe, zone géographique et système juridique. En février dernier, ils ont déclaré que 16 candidats potentiels (dont 2 ont abandonné pour des raisons personnelles) figuraient sur leur première liste de finalistes. Malgré la crise du Covid-19, chacun d’entre eux a été interviewé. Le comité de sélection avait promis une liste restreinte de 3 à 6 candidats d'ici la fin juin 2020. Et le 30 juin, il a tenu sa promesse.

Mais les noms des quatre personnes qui ont réussi à passer le test - Morris Anyah (Nigeria) ; Fergal Gaynor (Irlande) ; Susan Okalany, la seule femme (Ouganda) ; et Richard Roy (Canada) - ont provoqué un choc parmi la majorité des observateurs du droit pénal international.

Considérez que l’action de la Cour pour demander des comptes sur des atrocités commises peut s'étendre bien au-delà des nationalités et des territoires de ses plus de 120 membres ; pensez au fait que le prochain procureur sera confronté à des adversaires substantiels comme les États-Unis, qui s'opposent à l'enquête de la CPI sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Afghanistan, ou leur allié proche Israël, dont la Palestine voisine pourrait avoir qualité pour demander au procureur d'intervenir ; ajoutez à cela le problème persistant de présumés crime de guerre par la Grande-Bretagne en Irak, les crimes russes en Géorgie voisine et une tentative de s’occuper des crimes contre les musulmans rohingyas au Myanmar, ou contre les migrants africains faisant l’objet de trafic humain en Libye ; complétez le tout avec l’offre ininterrompue de dossiers complexes dans la poursuite de rebelles et d’islamistes dans divers États africains – et vous comprenez alors que, quelle que soit la prochaine personne qui prendra la relève de Fatou Bensouda, elle devra être hautement qualifiée à la fois dans la poursuite d'affaires complexes et en manœuvres diplomatiques. Au minimum, elle devra être solidement indépendante.

Le processus de sélection

Le comité de sélection a ajouté deux niveaux de considération. En ce qui concerne la compétence en droit, une évaluation séparée a été menée par des experts respectés. Simultanément, le comité a mis en place un nouveau système de filtrage, en utilisant la propre section de sécurité et de sûreté de la CPI pour vérifier les antécédents de tous les candidats. Il s'agissait de s'assurer, en particulier, que le prochain procureur de la CPI ait non seulement "une haute moralité" mais aussi - en citant l'avis de vacance - qu'il ou elle ait "un engagement élevé envers les valeurs et les principes directeurs de la CPI ainsi qu'une intégrité personnelle et professionnelle irréprochable". Cela, dit le comité dans son rapport du 30 juin, "implique que la personne ne devrait pas s'être livrée à du harcèlement, sexuel ou non, à des brimades, des comportements discriminatoires ou d'autres formes d'abus de pouvoir ou de malfaisance".

En fin de compte, aucun de ceux dont le nom avait circulé dans les couloirs de La Haye comme faisant partie des favoris - comme le Belge Serge Brammertz, actuel procureur du Mécanisme international résiduel pour les tribunaux pénaux, ou le Britannique Karim Khan, qui dirige actuellement l'équipe d'enquête des Nations unies sur des crimes commis par Da'esh/Etat Islamique – ne se trouve sur la liste restreinte, à l'exception de Fergal Gaynor qui a agi dans plusieurs affaires à la CPI.

"Ce n'est pas le statu quo"

"Je trouve très surprenant qu'il n'y ait pas de poids lourds sur la liste - l'omission de Serge Brammertz et Karim Khan étant particulièrement notable, car ces deux hommes ont plus d'expérience en droit pénal international que n'importe lequel des quatre candidats présélectionnés, notamment en matière de gestion de grandes organisations internationales", analyse Kevin Jon Heller, de l'université d'Amsterdam. "Il est difficile de juger un processus de sélection dont nous n'avons pas une connaissance interne complète. Mais je pense qu'il est au minimum légitime d’exprimer une certaine "surprise" du fait que deux des quatre candidats semblent n'avoir pratiquement aucune expérience du droit pénal international, que ce soit sur le fond ou institutionnel", appuie Dov Jacobs, de l'université de Leiden, sur Twitter.

Le comité a-t-il donc délibérément exclu certains candidats ? Heller le pense : "Je suis également surpris - et déçu - que le comité n'ait inclus que quatre personnes sur la liste restreinte. Ils auraient pu en inclure deux de plus. Il est impossible de croire qu'ils n'aient pas pu trouver six candidats qualifiés, ce qui me porte à penser que le comité essaie d'orienter l'Assemblée des États parties dans une direction particulière. Je ne peux m'empêcher de me dire que le comité craignait que l'Assemblée ne choisisse Brammertz ou Khan si on lui en donnait la possibilité."

Sarah Kasande du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), une ONG, a observé depuis l'Ouganda la surprise des commentateurs sur Twitter. Elle suggère, au contraire, que "l'on a présumé à tort que seul un petit groupe de personnes était qualifié pour ce poste". Liz Evenson, de Human Rights Watch, se sent également encouragée par "l'accent réel mis sur la transparence" par le comité. Pour d'autres, ces nouveaux noms sont en fait une bouffée d'air frais nécessaire. "Ce n'est pas le statu quo", déclare Sharon Nakandha du bureau régional Afrique de l'Open Society Foundations. "Ces personnes offrent une opportunité d'introduire des idées et des perspectives nouvelles au Bureau du Procureur et dans la sphère du droit pénal international. Chacun des candidats possède d'excellentes qualifications et une expérience qui, je pense, peut contribuer à permettre à la CPI de réaliser sa (...) mission. Le fait même qu'une simple liste de quatre noms ait relancé un débat important sur ce qui fait un bon procureur et sur les implications d'un leadership nouveau sur le débat en cours sur la réforme de la CPI est en soi positif", dit-elle.

Protéger la Cour contre l'inconduite et le harcèlement

Certains se sont attachés à ce que ce nouveau comité de sélection - et peut-être, indirectement, une grande partie du monde de la justice pénale internationale - prenne réellement en compte les plaintes continues de harcèlement. Dans un podcast d'Asymmetrical Haircuts [partenaire de Justice Info], l'avocate internationale Danya Chaikel, qui a travaillé sur cette question avec l'organisation de femmes ATLAS, a déclaré qu'elle connaissait au moins trois personnes sur la longue liste contre lesquelles existaient de telles allégations. Elle est aujourd’hui "vraiment impressionnée" par la façon dont le comité a fonctionné. C'est "une première historique surprenante", souligne-t-elle. "Aussi incroyable qu’il y paraisse, les responsables élus à la CPI n'ont pas vu leurs antécédents scrutés à la loupe comme le reste d'entre nous."

Chaikel travaille maintenant à la mise en place d'un système équitable, transparent et sûr qui permettrait de déposer des plaintes avant que tous les candidats ne soient sélectionnés – tant chez les juges que chez les procureurs. "C'est plus nécessaire que jamais", dit-elle, "alors même que nous prenons conscience du niveau élevé des abus à la Cour."

Les meilleurs candidats ?

Il ne fait aucun doute pour personne qu’il s’agit d’une année cruciale pour la réforme de la CPI. L’accumulation des plaintes et frustrations à l'égard d'une Cour peu performante a éclaté au grand jour. Les critiques refoulées des États et des spécialistes ont été canalisées à travers un gros travail d’évaluation par un groupe d’experts. Critiques et analyses tranchantes ont déclenché une tempête de débats en ligne qui pointent du doigt les responsables. Certaines de ces questions peuvent être traitées, mais la cour est comme un énorme pétrolier qui devrait faire demi-tour en peu de temps.

Alors, peut-on considérer que cette liste de quatre personnes représente, en fait, les meilleures chances pour diriger le bureau du procureur, ce moteur du tribunal ?

Prenons l'exemple de Susan Okalany. Nakandha souligne qu'elle a été saisie de "certaines des affaires pénales les plus complexes, notamment l'affaire des attentats de Kampala en 2010, dans laquelle elle a confirmé que plus de 300 témoins ont été interrogés, plus de 500 preuves matérielles ont été récupérées sur les lieux des attentats et analysées, et plus de 500 documents ont été préparés". En 2017, Okalany a été élue procureure de l'année par l'Association internationale des procureurs. Kasande pense que sa "grande expérience" n'avait pas été prise en compte parce qu'elle "n'appartient pas à cette liste prédéterminée de candidats 'qualifiés'".

Heller est d'accord pour dire que, malgré ses réserves, il s'agit là d'une liste solide. "Il ne fait aucun doute que les quatre candidats présélectionnés ont tous une expérience impressionnante en droit pénal, ce qui est très encourageant. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la connaissance du droit pénal international en particulier est si importante - donnez-moi quand vous voulez un grand procureur national plutôt qu'un procureur international acceptable. Il est également rafraîchissant de voir autant d'"outsiders" sur la liste - dont un, Anyah, possède une expérience en droit pénal principalement acquise du côté de la défense."

Mais des doutes subsistent, y compris parmi ceux qui aiment les "outsiders". Même si l'on s'est beaucoup préoccupé d'éradiquer le harcèlement, les femmes n'ont toujours pas été nombreuses à se porter candidates. "Sur les 89 dossiers de candidature remplis, il y avait 63 candidats masculins pour seulement 26 candidates féminines. Cela est en soi inquiétant - pourquoi si peu de femmes postulent à ce type de postes prestigieux ? La source elle-même doit être diversifiée", affirme sur Twitter la professeure de droit américaine, Milena Sterio.

L'avocate de la défense Kate Gibson souligne qu'il s'agit déjà d'un tribunal très masculin actuellement. "Si un des trois candidats masculins au poste de procureur est choisi, la cour pénale internationale de 2020 aura un président, deux vice-présidents, un greffier et un procureur. Deux tiers des juges de la Cour pénale internationale sont des hommes. Les avocates de la défense sont les bienvenues pour équilibrer tout ça", écrit-elle sur Twitter.

Le facteur géographique

L'offre d'emploi indiquait clairement que les États recherchaient non seulement une personne ayant une forte moralité, mais aussi quelqu'un qui avait "fait preuve d'indépendance et d'impartialité, qui s'était engagé à faire respecter la justice, les droits de l'homme et que des comptes soient rendus". C'est "un travail incroyablement difficile", reconnaît Evenson. Dès que les choses se passent bien, le tribunal "attire l'opposition politisée de ceux qui craignent un contrôle judiciaire". C'est pourquoi l'engagement sur l'indépendance est si important. "Les responsables de la cour doivent résolument préserver leur indépendance et agir en conséquence pour atteindre les ambitions de la CPI, même si les pays membres de la CPI doivent également repousser les efforts visant à miner le mandat de la cour."

Et maintenant, quelle est la suite ?

Le Bureau de l'Assemblée des États parties de la CPI a "fortement encouragé les États parties à s'abstenir de présenter des candidatures" dans ses courriers, jusqu'à ce que le comité ait terminé son travail. Il a réitéré une même mise en garde, en soulignant que les États devraient "identifier, par des consultations ouvertes et transparentes, un candidat de consensus".

Attendez-vous à de nombreuses spéculations sans grand intérêt. Il y a ceux qui pensent à la "rotation entre groupes géographiques" : est-ce le tour, peut-être, des candidats d'Europe occidentale et autres (connus sous le nom de WEOG) ? Si c'est le cas, le Canada et l'Irlande semblent être les favoris. Mais le prochain président de la CPI, désigné parmi les juges, pourrait déjà être issu de ce groupe. Le procureur devrait-il donc être originaire d'Afrique, même si la sortante Bensouda est originaire de Gambie ? Le Nigeria et l'Ouganda sont-ils les favoris ?

Prêts pour de nouveaux rebondissements

En fait, Heller s'attend à un rebondissement : "Il est important de noter que l'Assemblée n’est pas obligée de choisir l'un des quatre candidats présélectionnés. Je ne serais pas surpris que des États désignent des poids lourds qui ne figurent pas sur la liste. Et je ne serais pas surpris si un consensus n'était pas possible lors de cette élection."

Le comité de sélection lui-même souligne qu'"il n'existe pas de candidat "parfait" et met en garde contre le fait de juger uniquement sur la base d’un curriculum vitae. Toutes les personnes sélectionnées ont montré "un intérêt réel pour la justice et l'État de droit, la CPI et la cause de la responsabilité pénale internationale - sans crainte ni faveur ni désir d'avancement personnel, au-delà du souhait de rechercher de nouveaux défis", assure le comité. "Chacun d'entre eux apportera sa propre perspective professionnelle, unique et nouvelle, au travail de la Cour. De même, tous ont clairement communiqué leur appréciation d'une organisation et d'une philosophie de gestion qui valorise l'intégrité, le professionnalisme, le travail d'équipe, des perspectives diverses et nouvelles, une gestion responsable et le besoin de rendre des comptes."

On ne pourrait mieux en attendre.