Le 2 avril, 31 anciens militaires se sont levés tôt pour se retrouver à la lagune de Chisacá, nichée dans les Andes, à 20 kilomètres de Bogota. Devant un groupe de victimes d'Usme et de Ciudad Bolivar, deux des quartiers les plus pauvres de la capitale colombienne, ils ont fait les premiers pas symboliques d'une tâche qui les occupera pendant plusieurs mois et, pour certains, plusieurs années.
Gabriel de Jesús Rincón, colonel de l'armée à la retraite accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par le système colombien de justice transitionnelle, s'est accroupi et a brandi un arbrisseau d'un mètre de haut. À ses côtés, le major à la retraite Gustavo Soto Bracamonte, également accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, a mis de la terre avec une pelle dans un trou où le jeune arbre va pousser. Ensemble, ils ont planté un spécimen de sauge noire, un arbre indigène aux feuilles ondulées et parfumées, germe d'un projet de restauration écologique par lequel ils cherchent à se racheter de leur responsabilité dans des centaines de meurtres. "Il s'agit d'une étape fondamentale pour pouvoir regarder en face ceux à qui nous avons causé la grande douleur de ne pas pouvoir revoir leurs parents et leurs proches", a déclaré Rincón.
Un projet pilote pour le "système restauratif"
Depuis la mi-mars, tous deux et 44 autres anciens responsables militaires ayant participé à l'exécution extrajudiciaire d'au moins 6 402 civils que l'on a ensuite fait passer à tort pour des guérilleros tués au combat – un phénomène criminel connu des Colombiens sous l'euphémisme de "faux positifs" – travaillent à la restauration des forêts de haute montagne qui entourent Bogota. Ils le font dans le cadre du premier projet pilote avec lequel la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) – le bras judiciaire du système de justice transitionnelle issu de l'accord de paix de 2016 avec les anciennes Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) – a enfin commencé à définir les peines que recevront les personnes ayant commis des atrocités pendant un demi-siècle de conflit armé en Colombie.
En dévoilant ce qu'elle a appelé le "système restauratif", la JEP progresse – six ans après sa création et trois ans après son premier acte d'accusation – vers la clarification de l'une de ses plus grandes inconnues : à quoi ressembleront ses sanctions "spéciales" ou "alternatives", à la recherche d’un compromis entre l'approche punitive traditionnelle par la prison et la possibilité de construire la paix ? Pour l'instant, cependant, le tribunal spécial met presque entièrement l'accent sur le caractère réparateur que ces sanctions doivent avoir, conformément à l'accord de paix, mais presque pas sur la composante rétributive qu'elles doivent également remplir.
La restauration de la forêt comme peine réparatrice
"Que voulons-nous avec ce projet ? Restaurer votre réputation grâce à ces tâches de restauration", a déclaré le colonel Rincón, qui était le commandant en second de la 15e brigade mobile qui a commis 120 exécutions extrajudiciaires, 24 disparitions forcées et une tentative d'assassinat dans la région du Catatumbo. Son collègue, le major Soto Bracamonte, était membre de la 16e brigade, à Casanare, qui a tué 303 personnes. Tous deux ont été accusés d'être parmi les principaux responsables de ce que la JEP a appelé des "appareils criminels enracinés" au sein des unités militaires.
À leurs côtés, dix autres personnes ont également été inculpées et ont informé la JEP de leur décision d'assumer leur responsabilité, de dire la vérité et de réparer les victimes, conditions indispensables pour pouvoir bénéficier d'une sanction spéciale. Les 34 autres n'ont pas été inculpés : certains pourraient l'être dans les mois à venir, tandis que les autres seront probablement considérés comme des participants non déterminants à ces crimes. Ils sont tous considérés comme étant en "conformité précoce avec les sanctions".
Leurs tâches consistent à planter des myrtes, des garrochos ou des sureaux indigènes, à entretenir des pépinières de jeunes arbres et à lutter contre les plantes envahissantes telles que l'ajonc épineux, originaire d'Europe occidentale et très répandu dans les montagnes colombiennes. Ils travaillent sur des terrains appartenant à la compagnie des eaux de Bogota, avec l'aide technique du jardin botanique de la ville et de l'ONG environnementale Fundación Natura. Leur objectif ultime est d'aider ces terres dégradées à retrouver leur fonction écologique dans le corridor stratégique reliant les paramos de Chingaza et Sumapaz, véritables usines à eau qui approvisionnent plus de dix millions de personnes (à un moment où, ironiquement, Bogota a commencé à rationner l'utilisation de l'eau en raison d'une sécheresse prolongée).
Pour les auteurs, une nouvelle voie réparatrice
L'exemple de Rincón a été repris par le juge Roberto Vidal, troisième président de la JEP en six ans d'activité, lorsqu'il a comparé les sanctions spéciales de la justice transitionnelle à l'effort de rétablissement d'un écosystème et des services environnementaux qu'il fournit. "Les biologistes comprennent très bien que la restauration de l'environnement est un processus délicat et complexe, qui s’inscrit dans le temps, au cours duquel le sol et les plantes doivent être remodelés. Il ne s'agit pas seulement d'un problème matériel, mais d'une reconstruction de la relation de l'homme avec la nature", a-t-il déclaré.
De la même façon, a dit le juge, la JEP cherche à s'assurer que son travail et ses sanctions reconstruisent les relations entre les victimes, les auteurs d'infractions et les communautés locales. "Jusqu'à présent, nous avons travaillé dans ce pays avec des procès pénaux et des peines de prison, isolant les auteurs de la société. Avec ces projets, nous empruntons une nouvelle voie, dans laquelle les responsables peuvent travailler à la réparation des victimes et, entre tous, à la réconciliation", a-t-il déclaré. Un autre inculpé, le général à la retraite Henry Torres Escalante, s'est fait l'écho de cette idée, promettant que donner "une seconde chance aux délinquants est beaucoup plus bénéfique pour les victimes, car elle minimise le risque de revictimisation".
Outre l'initiative de la forêt d'Usme, il existe deux autres "projets exploratoires de restauration", en concertation avec les victimes. Dans la région pacifique de Nariño, où la JEP a inculpé 15 anciens commandants régionaux des FARC, d'anciens rebelles de ce groupe reconstruiront une maison spirituelle et sa route d'accès dans la réserve de Tortugaña Telembí, site d'un massacre emblématique contre le peuple indigène Awá. À Urabá, dans l'État d'Antioquia, lieu de l'un des trois macro-dossiers initiaux de la JEP qui, après cinq ans d'enquête, n'ont toujours pas abouti à une inculpation, 18 anciens guérilleros et responsables militaires travailleront ensemble à une initiative de sensibilisation aux risques liés aux mines terrestres. Dans les mois à venir, des projets d'infrastructure, d'éducation et de recherche de personnes disparues pourraient également voir le jour.
Questions sans réponse
Si le dévoilement des projets pilotes fait avancer une tâche en suspens depuis six ans, il présente néanmoins une lacune notable : s’il se concentre sur l'aspect réparateur de ses sanctions spéciales, le tribunal omet l'autre aspect.
L'accord de paix signé avec les FARC a mis au point une formule innovante, testée nulle part ailleurs et aboutissant à un système à deux voies parallèles, mélangeant deux types de sanctions : la punition et les réparations. Lorsque les auteurs reconnaissent leur responsabilité, ils peuvent bénéficier d'une sanction de 5 à 8 ans dans un cadre non carcéral. Dans le cas contraire, ils font l'objet d'un procès contradictoire et risquent des peines pouvant aller jusqu'à 20 ans de prison. La première voie, bien qu'elle n'entraîne pas la prison, implique des "restrictions effectives des libertés et des droits", y compris un calendrier fixe, une résidence dans un lieu spécifique (des unités militaires pour les soldats ; pour les anciens membres des FARC, des zones ne dépassant pas les anciens camps de réincorporation de 20 hectares), une autorisation de déplacement et un mécanisme de vérification dirigé par la mission de l'Onu en Colombie.
Mais de nombreux détails restent mystérieux. De quel type de cadre non carcéral s'agira-t-il ? L’autre centaine de personnes inculpées jusqu'à ce jour effectueront-elles un travail de réparation similaire ? La mission de l'Onu vérifiera-t-elle toutes les personnes sanctionnées ou, comme elle l'a souligné en 2022, seulement "les tendances générales de conformité et des cas individuels spécifiques" ? Ceux qui sont entrés en politique, y compris deux membres actuels du Congrès qui ont été inculpés, seront-ils contraints de quitter leurs fonctions publiques une fois qu'ils auront été condamnés ou pourront-ils continuer à les exercer ? Leur sera-t-il déduit du temps avant leurs sanctions ? Cette dernière question est l'une des plus délicates car, bien que l'accord le permette pour autant qu'ils aient réparé des victimes et que leur liberté ait été effectivement restreinte, il n'existe actuellement aucun système permettant de contrôler qui s'y est conformé et qui ne s'y est pas conformé, et la majorité des anciens rebelles ne séjournent plus dans des camps de réincorporation mais se déplacent librement dans tout le pays. Dans le projet environnemental près de Bogota, les participants ont des horaires et sont transportés dans la forêt où ils travaillent, mais la JEP n'a pas précisé les conditions de restriction effective de liberté qu'ils suivent.
Pression des FARC
La réticence de la JEP à définir son régime de sanctions pourrait être liée à la résistance que l'idée suscite encore chez nombre de ses participants. Le 7 février, les sept membres de l'ancienne direction des FARC - connue sous le nom de secrétariat - ont envoyé une lettre publique au président Gustavo Petro pour critiquer le fait que, selon eux, la JEP était déterminé à "s'éloigner de l'esprit et de la lettre de l'accord" et que ses interprétations s’orientaient vers "un terrain juridique punitif".
Ils se plaignent notamment de la lenteur avec laquelle sont accordées les amnisties et les exemptions de poursuites pénales pour les anciens rebelles de rang inférieur, de "l'ouverture sans fin de macro-dossiers", de l'inculpation d'anciens commandants de niveau intermédiaire et du fait qu'ils peuvent faire l'objet d'accusations multiples (comme cela s'est produit pour le sénateur Pablo Catatumbo, inculpé deux fois pour enlèvement et dans le dossier régional de Nariño). Selon eux, cela "sape la sécurité juridique" des anciens combattants et affaiblit leur confiance dans la justice transitionnelle, facilitant la reprise des armes par beaucoup d'entre eux. Cette dernière déclaration a été très controversée et interprétée comme une menace.
Dans une deuxième lettre envoyée deux semaines plus tard, cette fois aux anciens rebelles signataires de l'accord, les anciens dirigeants des FARC ont atténué leur mise en garde et qualifié de "mauvaise" toute décision de reprendre la guerre. Ils ont toutefois réitéré leurs critiques à l'égard du prétendu "déraillement" de la JEP et, en particulier, des sanctions, notamment la "non-reconnaissance des périodes de privation de liberté" ou le "manque de considération pour les sanctions réparatrices".
Un test décisif de légitimité politique et publique
La légitimité sociale à long terme du modèle de transition colombien pourrait dépendre de la réalisation de sa composante rétributive. D’abord, il s'agit d'un point litigieux sur le plan politique. Profitant de l'ambiguïté des sanctions et du fait que les anciens commandants des FARC pourraient ne pas mettre les pieds en prison, le camp politique opposé à l'accord de paix a dépeint cette nouvelle approche de justice comme de l'impunité. Lorsque 50,2 % des Colombiens ont rejeté le texte initial lors du plébiscite de 2016, ce camp a réussi, lors de la renégociation qui a suivi, à faire en sorte que le texte final dessine mieux la dimension rétributive. Deux de ces dirigeants politiques, Iván Duque et Marta Lucía Ramírez, ont remporté les élections présidentielles suivantes en 2018, avant de laisser passer leurs quatre années de mandat en ne demandant pratiquement pas que ces questions en suspens soient précisées.
En pratique, le gouvernement Duque a choisi de faire obstruction à la JEP, puis de l'ignorer, au lieu de se rendre compte que, bien que le tribunal soit l'institution de l'État qui fixe les sanctions, il revient au gouvernement national d’établir les zones de restriction de liberté et les personnes chargées de les surveiller (aspects qui, de toute façon, nécessitent un budget et des mois de planification). Ce n'est qu'en juin 2022 qu'il a publié un document de politique publique, dans lequel il a esquissé quelques généralités. Un mois et demi avant le changement de gouvernement, cela s'est avéré trop peu et trop tard.
Par ailleurs, une enquête menée par la politologue Sandra Botero de l'Université Rosario au début de la JEP suggérait que l'avis des Colombiens sur la justice transitionnelle variait en fonction des punitions. En 2018, Botero a interrogé 1 663 personnes dans tout le pays sur le châtiment hypothétique du personnage fictif Carlos Soto, avec deux variantes : certains apprenaient qu'il était un ancien rebelle et d'autres un soldat ; certains qu'il avait été condamné à une peine de prison et d'autres à une assignation à résidence assortie d'un travail de déminage humanitaire. L'enquête montrait que, parmi les citoyens ordinaires, le soutien aux sanctions réparatrices était inférieur de 0,26 point à celui aux sanctions punitives, sur une échelle de 1 à 6. Il n'y avait pas de différence entre le soldat et le rebelle.
Cinq ans et quatre inculpations plus tard, Juan Carlos Rodríguez Raga, de l'université Los Andes, a repris le même personnage et mené une expérience similaire. En 2023, il a posé une seule question à 1 503 personnes, à propos d'un soldat coupable d'homicide qui serait assigné à résidence et à du déminage. Là encore, l'approche punitive l'emporte : la moitié des personnes interrogées ont réagi négativement, un tiers positivement, le reste étant indifférent. "Nous savons que la justice transitionnelle est jugée sur ses résultats, qu'elle opère dans un contexte de polarisation, que la restauration est très complexe et que le populisme punitif est facile à vendre. C'est pourquoi il est essentiel et urgent de faire un travail d'éducation sur les sanctions auprès du grand public", affirme Botero, qui vient de publier le livre Paix et opinion publique en Colombie.
L'avertissement de la CPI
Les Colombiens ne sont pas les seuls à avoir mis en garde la JEP à ce sujet. Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a déclaré dans l'"accord de coopération" par lequel il a clôturé l'enquête préliminaire de son bureau sur la Colombie, fin 2021, qu'il pourrait revenir sur sa décision en cas de "changement significatif des circonstances". Il a notamment souligné "l'application de sanctions pénales efficaces et proportionnées, de nature rétributive et réparatrice".
Au final, la décision reviendra aux 20 juges de la section de deuxième instance de la JEP, tenus de juger les dix actes d'accusation déjà présentés par leurs collègues de la chambre d'accusation. Les trois premiers, l'un sur les enlèvements par les FARC et les deux autres sur les exécutions extrajudiciaires par les militaires, sont sur leur bureau depuis plus de deux ans. La réponse à ce dilemme, qui peut apparaître comme un simple débat juridique, ainsi que l'efficacité du travail des auteurs des crimes pour restaurer la forêt d'Usme, ont en fin de compte des ramifications politiques qui pourraient affecter la légitimité même du modèle de transition colombien.