Contraint à la démission, mi-juin, Constant Mutamba s’était dit prêt à affronter la justice, rejetant toutes les accusations formulées contre lui. Pour le ministère public, l’ex garde des sceaux s’est rendu coupable de transfert illégal de fonds, de non-respect de la procédure d’attribution de marchés publics et d’attribution de marché à une entreprise « de façade ».
A l’ouverture du procès, le 9 juillet, la défense avait tenté d’obtenir l’annulation de la procédure, évoquant des irrégularités de la part de l’Assemblée nationale : l’autorisation d’ouvrir une instruction, nécessaire pour un ministre en exercice, avait été votée à main levée alors que le règlement prévoit un vote à bulletin secret ; aussi, « la personne visée par la procédure doit être entendue, avant le vote, pour présenter ses moyens de défense. Notre client a reçu l’invitation le jour même où il devait se présenter. Il se trouvait à l’hôpital », souligne l’un des avocats. Mais ces arguments ont été jugés « non fondés » par la cour.
Mutamba clame son innocence
« J’ai accepté d’affronter cette réalité pour prouver mon innocence... Les 19 millions de dollars pour lesquels on me poursuit sont bel et bien à la banque au moment où je me présente devant cette cour. Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, n’a jamais pris un seul dollar américain », a-t-il déclaré en parlant de lui à la troisième personne, sur un ton ferme, à l’audience du 23 juillet devant la Cour de cassation de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), en charge de le juger.
Au sujet de l’attribution du marché de gré à gré à l’entreprise Zion Construction, au cœur de l’affaire, Mutamba précise : le silence de la première ministre pendant plus de dix jours après dépôt de sa demande d’agrément de l’accord avec l’entreprise vaut selon lui autorisation. « L’autorité approbatrice dispose d’un délai de dix jours pour approuver le marché, à partir du moment où vous introduisez votre requête. Si dans les dix jours, l’autorité approbatrice n’a pas approuvé, conséquence logique, le marché est approuvé de manière tacite », a confirmé Christian Kalume, expert de l’Autorité de régulation des marchés publics appelé à témoigner au procès, le 4 août dernier.
A l’origine du scandale : le 16 avril 2025, un ordre de paiement de Mutamba, pour un montant de 19,9 millions de dollars, transféré du compte du Fonds de réparations des victimes des activités illicites de l’Ouganda en République démocratique du Congo (Frivao) vers un compte différent de celui mentionné dans le contrat de passation de marché, signé deux jours plus tôt entre le ministère de la Justice et l’entreprise Zion Construction. La transaction suspecte est détectée, le jour même, par la Cenaref, la Cellule nationale des renseignements financiers.
Un procès politique ?
Mutamba est convaincu qu’il fait face à un procès politique. Il l’a répété à plusieurs reprises et l’a mentionné dans sa lettre de démission adressée au président Félix Tshisekedi, le 18 juin. Il n’a pas hésité à l’insinuer lors de ses prises de paroles souvent tendues devant la Cour de cassation. « Je ne suis pas ici pour recevoir des menaces. S’il s’agit d’un complot, exécutez-le. Je vais tout assumer », lançait-il à l’audience du 4 août. « Cette justice que j’ai servie, avec tant d’amour, m’a tout arraché : mon honneur, ma crédibilité, ma dignité... », déplorait-il le 13 août, à l’issue des plaidoiries finales.
Sur les réseaux sociaux des soutiens au jeune ministre de 37 ans ont lancé une campagne « Acquittez Mutamba ». Des veillées sont organisées à sa résidence. Plusieurs personnes y passent pour le réconforter. Des chants de soutien au jeune Mutamba y retentissent.
Témoignage de l’ancienne ministre de la Justice
Pour sa défense, Mutamba a sollicité la comparution de plusieurs personnalités : le secrétaire exécutif de la Cellule nationale des renseignements financiers (Cenaref), le directeur général du Guichet unique de création d’entreprise, l’ancienne ministre de la Justice et même l’actuelle première ministre, Judith Suminwa. Celle-ci a demandé, le 6 août, à la cour de la dispenser de comparution pour « raisons d’État », a expliqué le juge Jacques Kabasele Nzembele. Le secrétaire exécutif de la Cenaref n’a pas souhaité non plus venir témoigner.
En revanche, Rose Mutombo, ancienne ministre de la Justice, s’est présentée à l’audience, le 6 août. Elle est revenue sur la répartition des fonds versés par l’Ouganda depuis 2022. Une grosse partie, a-t-elle expliqué, va sur le compte du Frivao et une autre sur celui du gouvernement [conformément à l’arrêt de la Cour internationale de Justice]. Les deux comptes ont été ouverts avant son arrivée à la tête du ministère de la Justice, a-t-elle indiqué. « Lorsque l’argent de l’Ouganda arrive sur le compte du ministère de la Justice, la part des victimes est ensuite virée sur celui de Frivao », a-t-elle précisé.
Quant au professeur Amisi Herady, directeur du Guichet unique de création d’entreprise, il a expliqué que l’entreprise Zion Construction a bien été créée, le 28 mars 2024, et que ces premiers associés – contre lesquels un avis de recherche a été lancé – avaient cédé leurs parts avant la signature du contrat avec le ministère de la Justice, autorité de tutelle du Frivao, le 14 avril dernier, pour la construction d’une prison à Kisangani, capitale provinciale du Tshopo, dans le nord-est du pays, et théâtre de la « guerre des six jours » entre les armées rwandaise et ougandaise en juin 2000. « Nous n’avons pas la qualité de confirmer la viabilité ou la fiabilité d’une entreprise. Mais ce que nous sommes capables de confirmer, c’est son existence juridique », a ajouté Herady.
L’autre intervention très attendue était celle de la Rawbank, où sont logés les 19,9 millions de dollars versés par le Frivao. Le témoignage d’un responsable de la banque contredit la déclaration de Mutamba selon laquelle l’argent se trouve sur un compte séquestre, à savoir un compte bancaire spécialement désigné pour détenir temporairement des fonds, en attendant une décision ultérieure. « A la Rawbank, il existe un client détenteur d’un compte courant au nom de Zion Construction SARL, numéro 25101-01145175001-47 USD, ouvert dans le livre », a déclaré Hervé Sesongo, l’agent de l’établissement venu témoigner au procès.
A ce jour, « Zion Construction ne peut pas accéder à ce compte parce qu’il y a des mesures conservatoires qui y sont appliquées notamment par la Cenaref et le parquet », a-t-il ajouté.
10 ans de travaux forcés requis par le parquet
Au terme de six journées d’audience, la Cour de cassation a conclu les débats, le 13 août. Dans son réquisitoire, l’avocat général Sylvain Kalwila a requis 10 ans de travaux forcés ainsi que 10 ans d’inéligibilité, de privation d’accès à la fonction publique après avoir purgé sa peine.
Le ministère public, qui a qualifié le prévenu Mutamba de « délinquant », a souligné dans sa plaidoirie plusieurs points : notamment le recours à la procédure de gré à gré, la mise à l’écart par l’ancien ministre de certains services techniques et juridique, l’exécution du marché sans obtenir l’avis de non-objection, le caractère fictif de la société qui ne dispose ni de siège, ni de personnel ni de garantie bancaire.
« Le prévenu que le ministère public présente comme un délinquant est aujourd’hui perçu comme un représentant de la jeunesse au sein de la classe politique », rétorque la défense dans sa plaidoirie finale.
Coupable de détournement de fonds publics
Le mardi 2 septembre, pour le prononcé du verdict, la Cour de cassation a été placée sous haute sécurité pour éviter d’éventuels débordements des partisans de Mutamba. Ce dernier s’est présenté à l’audience vêtu d’un survêtement bleu marine et le visage ceint d’un masque chirurgical.
Dans sa décision, la Cour de cassation a estimé que « les violations répétées des règles de procédure et la précipitation dans la passation du marché avait pour objectif d’écarter des fonds de l’État pour enrichir frauduleusement l’entreprise Zion Construction ».
Par conséquent, l’ex-ministre a été reconnu coupable de l’infraction de détournement de deniers publics et écope de trois ans de travaux forcés, transformés en peine de prison en RDC, les travaux forcés n’ayant plus lieu. La Cour l’a également condamné à cinq ans d’interdiction du droit de vote, mais aussi d’inéligibilité et d’exercice de fonctions publiques.
C’est le poing levé que Mutamba a quitté la Cour, sans faire de commentaire. La Cour de cassation siégeant en premier et second degré, Mutamba n’a pas la possibilité de faire appel.