Dans ses conclusions finales à l’issue de deux journées d’audience à La Haye, après la description des crimes horribles commis et des raisons pour lesquelles Joseph Kony devrait en être tenu pour responsable, l’avocat désigné pour sa défense Peter Haynes a rappelé à la Cour que lorsque le procureur a proposé une audience de confirmation par contumace dans cette affaire, il a en premier lieu justifié cette proposition comme un moyen « de rendre publiques les preuves, de donner aux victimes la possibilité de s’exprimer et de sensibiliser le public ».
La publicité faite autour des audiences permet de dire que les objectifs sont atteints et que les juges « devraient prononcer un sursis conditionnel à la procédure et me décharger de mon mandat d’avocat », conclut-il. La veille, il soulignait l’incertitude quant à ce qui se passerait si le suspect était arrêté à partir de maintenant. Cette procédure serait-elle reprise, avec les mêmes chefs d’accusation ? Y aurait-il une nouvelle équipe juridique ? Si l’Ouganda arrêtait Kony, le livrerait-il ? Comme le dit Jackline Owacgiu Atingo, chercheuse à l’université de Gand en Belgique, qui a assisté au procès à Gulu, « c’est un cas très rare. Une audience en l’absence de quelqu’un est quelque chose que les gens ici n’ont jamais connu. Les gens ne comprennent pas exactement ce qui se passe. Tout cela sera-t-il vain ? »
« Aucune description de l’accusé »
Bien sûr, rien ne garantit jamais qu’une affaire aboutisse. La même équipe désignée pour la défense de Kony a fait annuler la condamnation du Congolais Jean-Pierre Bemba. À tout moment, les juges peuvent décider de ne pas poursuivre la procédure. Le procureur lui-même peut reconnaître qu’il ne dispose pas de preuves, comme cela a été le cas dans l’affaire kenyane devant la CPI. Mais tout au long de ces audiences contre Kony, les questions étaient omniprésentes : à qui cela sert-il, qu’est-ce que cela va apporter et qu’est-ce que cela signifie ?
« Il n’y a eu aucune description de l’accusé », a fait remarquer Adina-Loredana Nistor, maître de conférences à la Vrije Universiteit Amsterdam, qui a assisté à l’audience depuis la salle du public. Elle a mené des recherches dans le nord de l’Ouganda et écrit sur le seul procès ougandais devant la Cour, celui contre le lieutenant de Kony, Dominic Ongwen, qui s’est conclu cette année. « Si je repense au procès Ongwen, l’accusation a ouvert en déclarant : Dominic Ongwen était à la fois bon et mauvais, et les bonnes personnes sont capables de commettre le mal ». Lors du procès d’Ongwen, « Kony a été décrit comme une personne omnipotente » et la LRA était décrite comme « tellement imprégnée de mysticisme », explique Nistor, « que cela a créé une atmosphère particulière ». Lors des audiences consacrées à Kony, « la spiritualité n’a été mentionnée qu’une fois, très brièvement ».
Le rôle de Kony, cependant, a été maintes fois évoqué au cours des deux jours d’audience. L’accusation a décrit la structure hiérarchique de la LRA. Il était connu comme le commandant en chef. Un tableau multicolore a montré qu’une dizaine d’autres hommes ont été promus ou rétrogradés en tant que commandants pendant la période spécifique visée par les accusations – 2002-2005 – tandis que Kony restait au sommet. « Un jeu très intéressant avec le temps, le passé, le présent et l’avenir, car l’accusé n’a pas été appréhendé. Peut-être le sera-t-il », déclare Nistor.
L’accent mis sur les femmes et les enfants
Trente-neuf chefs d’accusation ont été retenus par l’accusation contre Kony, détaillés par une équipe de procureurs dirigée par le procureur adjoint Mame Mandiaye Niang.
« La LRA a enlevé de force des milliers de personnes et les a réduites en esclavage pendant la période couverte par les accusations. Les femmes enlevées ont été soumises à de multiples formes d’esclavage. Elles n’avaient pas le droit de quitter la LRA. On leur imposait des partenaires. Elles étaient victimes de viols et d’autres formes de violence sexuelle. Elles étaient soumises à un contrôle reproductif, y compris à des grossesses forcées. Elles étaient contraintes d’accoucher dans la brousse, sans soins prénatals ni postnatals. Elles ont été victimes d’exploitation, aggravée par le travail dans des conditions de servitude domestique. Au sein de la LRA, ces femmes étaient appelées ‘épouses’, un euphémisme pour désigner des partenaires conjugales forcées. Des esclaves domestiques. Les enfants n’ont pas été épargnés non plus. Kony a abusé de leur innocence et de leur inexpérience pour grossir les rangs de son armée. Il a mis en place une véritable armée d’enfants soldats », a-t-il déclaré à la cour.
Ce qui est arrivé aux femmes et aux enfants a constitué l’élément central des accusations. La procureure Sanyu Annabelle Ndagire a pour sa part souligné que « la LRA a illégalement séquestré ces femmes et ces filles pendant leur grossesse dans l’intention de commettre de graves violations du droit international, notamment en les maintenant en esclavage. Et l’acte inhumain du mariage forcé. Cela concernait au moins un des enfants des victimes, dont le père est Kony, né en Ouganda pendant la période couverte par l’acte d’accusation. Bien que d’autres enfants de Kony aient été conçus et soient nés en dehors de la période couverte par l’acte d’accusation et en dehors de l’Ouganda, ces témoins ont confirmé l’existence d’un schéma de grossesses forcées dont Kony est accusé ».
Preuves fournies par les forces armées ougandaises
Selon Ndagire, certaines des preuves présentées par l’accusation proviennent de communications radio interceptées et transcrites par les forces armées ougandaises. « Une communication radio de la LRA du 18 décembre 2002 révèle que Kony a ordonné de battre une femme pour avoir refusé de lui remettre une jeune enfant comme baby-sitter ou ‘tingting’ [jeune fille] », a déclaré Ndagire à la cour.
Selon Nistor, l’accusation a fait des choix stratégiques clairs. « Ce sont les crimes que vous pouvez prouver, et pour lesquels vous savez avec certitude que vous disposez de preuves suffisantes pour étayer vos allégations ». Elle souligne que Kony fait l’objet de moins de chefs d’accusations qu’Ongwen : « Il en comptait 70 au départ et a été condamné pour 63, et Kony en compte un peu plus de la moitié. Je me demande si cela peut avoir un sens ».
« Ce qui semble avoir été laissé de côté, ajoute-elle, ce sont les violences sexuelles contre les garçons. Lors du procès d’Ongwen, dans sa déclaration non assermentée, il a déclaré avoir été abusé sexuellement par des femmes commandantes. Je m’attendais à ce que l’accusation s’appuie sur cela lors du procès Ongwen ».
Atingo n’est pas non plus satisfaite. Elle note que la CPI ne peut traiter que les crimes commis après sa création en 2002. « Qu’en est-il de ceux qui ont été enlevés et de ceux qui ont connu des problèmes en 1992 et 1993, dont les enfants ont été tués et les maisons incendiées ? Que va-t-il se passer ? Certains crimes semblent plus importants que d’autres. Et pourtant, tous sont des crimes qui ont fait du tort à la population et ont blessé des gens. » « Les victimes s’attendaient à ce que Kony soit tenu responsable de tout ce qu’il a fait. »
« La CPI est considérée comme très injuste. La justice a-t-elle été rendue pour tous ? La justice a-t-elle été rendue ? » Elle ajoute : « Nous avons des enfants qui sont nés dans la brousse ou lorsque leurs mères étaient retenues captives par la LRA. Puis elles sont revenues avec ces enfants, mais elles n’ont pas de terre où s’installer. Elles ont été rejetées par la communauté. En quoi l’audience peut-elle leur être bénéfique ? Comment vont-elles en tirer profit ? »
« Que veut la CPI ? »
Nistor fait remarquer que « au sein d’une même communauté, vous trouverez des personnes très satisfaites, qui attendaient ce moment avec impatience, et d’autres qui sont extrêmement déçues ». Des personnes lui ont dit que sans cette confirmation des charges, les gens auraient peut-être oublié la nécessité d’une justice transitionnelle pour les crimes commis pendant la guerre entre l’Ouganda et la LRA. « Le débat reste donc ouvert. Certains espéraient également que les crimes du gouvernement seraient à nouveau mis en avant. »
Pour Atingo, « au final, cette audience causera beaucoup de détresse aux victimes. Je ne veux pas utiliser le terme ‘traumatisme’, mais seulement de ‘détresse’, car à la fin elles risquent de perdre confiance ». Elle explique qu’il est parfois difficile pour ceux qui regardent la CPI du nord de l’Ouganda de comprendre ce qu’elle veut faire, ce qui peut conduire à une méfiance quant aux motivations derrière ces audiences. « Est-ce qu’ils cherchent seulement à maintenir des emplois pour continuer d’exister ? », finissent par se demander certains.