En cinq jours, du lundi 24 au vendredi 28 novembre, 14 victimes constituées partie civile et cinq témoins ont défilé devant les juges et jurés pour témoigner des actes qu’ils ont vécus, dont plusieurs victimes de viols entendues à huis clos. Un chef coutumier pygmée d’Epulu, anonymisé sous les initiales TUK, que l’envoyé spécial de Justice Info a rencontré à Mambasa au cœur de la forêt équatoriale à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) avant sa venue à Paris, a répété son témoignage d’actes cruels endurés par sa communauté.
L’ex-chef rebelle congolais Roger Lumbala est poursuivi par la justice française pour complicité de crimes contre l’humanité pour des actes présumés de viols, meurtres, tortures et pillages commis par ses hommes lors de l’opération militaire « Effacer le tableau », menée par son mouvement, le Rassemblement congolais pour la démocratie-National (RCD-N), appuyé par le MLC (Mouvement de libération du Congo) de Jean-Pierre Bemba, qui visait à conquérir un espace allant jusqu’à Beni et Butembo, alors contrôlé par le chef de guerre Mbusa Nyamwisi.
Violer même une victime enceinte
« On venait de se replier dans la forêt quand les troupes d’Effacer le tableau nous ont attaqués. Ils n’ont pas respecté nos lois et coutumes, ils se sont introduits dans nos maisons partout pour fouiller parce qu’ils disaient que nous cachions des APC (militaires ennemis de Mbusa Nyamwisi, ndlr). Ils en revenaient avec nos objets », rapporte TUK à la Cour. L’acte survenu lors de l’attaque d’octobre 2003 qui a le plus choqué ce chef autochtone pygmée est le viol de sa sœur, puis de sa tante.
« Ma sœur était enceinte et se reposait dans la maison quand nous avons été attaqués par quatre hommes armés. Ils ont violé ma sœur à tour de rôle, en ma présence, en présence de mon père. J’ai compris qu’Effacer le tableau voulait dire tout détruire », témoigne la victime, qui évoque la mort « sauvage » de sa sœur qui n’a pas pu être sauvée.
Le chef affirme à la Cour qu’il craignait que la même chose arrive à son épouse, à qui ils ont demandé de préparer un repas. « Ils ont mangé et m’ont pris pour guide pour les aider à sortir de la forêt », indique-t-il. « En revenant, j’ai croisé tout le village en pleur. Ma sœur violée saignait, le sang coulait, elle était au terme de sa grossesse. On n’avait pas de moyens de la transporter dans un hôpital. Elle est morte trois jours après les faits. Nous l’avons enterrée dans un trou creusé par un animal sauvage. Nous l’avons enterrée comme un animal », se rappelle-t-il. Il évoque aussi le sort de sa tante. « Elle aussi a été violée par trois hommes, en présence de mon jeune frère. Depuis, elle a des troubles », révèle-t-il.
« Je suis venu défendre la justice »
Si les victimes ont fait le déplacement de la région de Mambasa (RDC) à Paris (France) c’est parce qu’elles disent venir défendre leurs droits à la justice et à réparation.
« Je suis venu défendre la justice, les droits humains. J’ai franchi des routes de tracasserie, des routes de risque pour atteindre Beni puis m’envoler à Paris parce que je veux la justice », explique ce chef pygmée qui regrette l’absence de Lumbala à son procès. « Nous sommes venus lui dire en face ce que ses hommes indisciplinés ont fait subir à nos communautés », affirme-t-il. Lumbala a décidé dès le début du procès de boycotter les audiences, affirmant ne pas reconnaitre la Cour et sa compétence à le juger. « Roger Lumbala a peur de son sort. S’il était ici, j’allais l’identifier, pointer l’homme qui était arrivé à Epulu. Il a peur puisque ça le concerne », déclare la victime qui dit avoir personnellement vu Lumbala atterrir à Epulu, apporter des renforts de minutions à ses hommes et de l’assistance aux communautés locales.
« Je voulais rentrer de Paris avec nos filets de chasse »
« Il était descendu d’un hélicoptère qui atterrissait à la piste de l’ICCN (piste d’atterrissage de l’Institut congolais pour la conservation de la nature d’Epulu), il était vêtu en costume comme moi et avait apporté quelques sachets de sel et des barres de savon que l’on s’était partagé. Il avait même tenu un meeting », révèle-t-il avant de conclure : « Je voulais rentrer de Paris avec nos filets de chasse. Ça nous aidait à attraper nos gibiers. Ça nous amenait de la fortune. Car on s’en servait pour capturer des mbuluku (antilopes) et permettre aux touristes de les contempler, qui nous payaient en retour. Mais depuis qu’ils ont brulé nos filets, nous vivons dans la misère. Imaginez, les filets servaient plus de 2 000 membres de notre communauté !? », réclame-t-il à la Cour de Paris en tant que réparation.
Toutes les victimes qui défilent à la barre expriment leurs besoins de justice et de réparation. Mais le président de la Cour les appelle à la patience. Car, note-il, son instance instruit l’affaire seulement au pénal et ne devrait se limiter qu’à confirmer la culpabilité ou non de Lumbala. Et ce n’est qu’en cas de confirmation de sa culpabilité qu’il reviendra à une autre instance d’instruire l’affaire au civil en vue de déterminer les dommages et intérêts à verser aux parties civiles – qui, précise-t-il, ne sont pas tout aussi automatiques du fait de l’indigence des condamnés et à l’absence de mécanismes de fonds d’indemnisation des victimes.
La responsabilité de Lumbala
Durant cette première semaine d’audition des victimes, la Cour voulait avant tout comprendre la responsabilité de Lumbala qui avait, devant les juges d’instruction, argué qu’il agissait sous le commandement du MLC. Des victimes ont confirmé avoir vu le MLC apporter des renforts militaires aux hommes de Lumbala à Mambasa, Epulu et Isiro.
La Cour a aussi exploité des articles de presse, publiés notamment dans des journaux congolais, ougandais, ainsi que dans des médias internationaux tel que RFI, dans lesquels Lumbala semblait revendiquer la pleine responsabilité du mouvement politico-militaire et la paternité de l’opération militaire Effacer le tableau. « Si ces troupes n’étaient pas du RCD-N, elles n’allaient jamais accepter d’aller se faire tuer pour moi », affirma-t-il à un journaliste. La Cour a notamment écouté un journal de RFI de décembre 2002 dans lequel intervenait Lumbala, qui se réjouissait d’un accord de cessez-le-feu signé par le RCD-KML, le RCD-N et le MLC à Gbadolite, sous la facilitation des Nations unies, semblant indiquer que le RCD-N agissait alors de manière autonome, et non sous couvert du MLC. Mais avant comme pendant l’appui du MLC, les militaires d’Effacer le tableau étaient accusés de crimes. Parmi les premiers à les dénoncer figurait l’évêque du diocèse de Butembo-Beni qui, selon la presse lue à l’audience de vendredi, révélait des actes de cannibalisme.
Un procès historique pour le Congo ?
Les faits dont Lumbala est accusé figurent parmi les centaines de crimes documentés dans le rapport Mapping des Nations unies, qui cartographie plus de 600 faits graves commis entre 1993 et 2003 en RDC. Aucun procès de ces faits n’a eu lieu à ce jour en RDC, où certains auteurs présumés demeurent au pouvoir.
Au procès Lumbala, des noms ne cessent d’être cités, notamment ceux de Bemba et de Constant Ndima, des anciens responsables du MLC. Bien qu’en décembre 2002 Bemba niait l’implication de ses troupes, à Mambasa, Justice Info a échangé avec des dizaines des témoins et victimes qui affirment que les troupes de Bemba ont bien appuyé Lumbala dans sa reconquête de Mambasa fin octobre 2002, et qu’elles étaient pilotées par le commandant Ramsès Widi Divioka alias « Roi des imbéciles », lequel dépendait de Ndima, aujourd’hui général dans l’armée congolaise. Dans un article datant de 2002, lu à l’audience du vendredi, Ndima expliquait le sens du concept Effacer le tableau : « L’ennemi, le RCD-KML de Mbusa Nyamwisi est un écrit qui occupe inutilement le tableau et il faut l’effacer », expliquait alors le commandant militaire du MLC, pour couper court aux accusions d’une entreprise militaire ciblant les ethnies Nande et les autochtones pygmées.
Cette semaine du 1er décembre, d’autres victimes, témoins et experts seront entendus, les uns en présentiels, d’autres par visioconférence depuis Bunia ou Kinshasa.






