Des centaines de personnes ont manifesté mardi à Khartoum mais un important dispositif de sécurité a empêché toute marche vers le palais présidentiel, au septième jour d'un important mouvement de protestation contre la cherté de la vie, a constaté un journaliste de l'AFP.
Des manifestations, qui ont touché jusque-là une dizaine de villes, ont éclaté le 19 décembre après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, dans un pays en plein marasme économique.
Marqué par des heurts meurtriers, ce mouvement s'est transformé en une contestation --quasi inédite en trois décennies-- contre le pouvoir du président Omar el-Bachir. Agé de 74 ans, ce dernier dirige le Soudan d'une main de fer depuis 1989.
Selon Amnesty International, 37 manifestants ont été "abattus par les forces de sécurité" depuis le début du mouvement. L'ONG de défense des droits humains a exhorté les autorités soudanaises à cesser l'"usage meurtrier de la force".
Selon des responsables et des témoins, huit personnes sont mortes durant des manifestations en province la semaine dernière. Samedi, le chef du principal parti d'opposition, Sadek al-Mahdi avait de lui évoqué un bilan de 22 morts.
Mardi, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Norvège et le Canada se sont dits "inquiets" de ces violences et "réaffirment le droit du peuple soudanais à manifester pacifiquement".
Selon un tweet de l'ambassade britannique au Soudan, les quatre pays ont appelé Khartoum à "éviter les tirs à balles réelles sur les manifestants, les détentions arbitraires et la censure des médias".
- "Choix du peuple" -
Mardi, des policiers et des forces anti-émeutes, certaines à bord de véhicules blindés, ont quadrillé les artères principales de Khartoum.
"Liberté, paix, justice, révolution: le choix du peuple", ont scandé des manifestants dans l'artère principale de la capitale, la rue Al-Mek Nemr. Les policiers ont répondu en tirant des gaz lacrymogènes.
Les forces de sécurité ont empêché des groupes de protestataires de rejoindre le point de départ prévu pour une grande marche en direction du palais présidentiel. Des policiers s'étaient notamment postées sur les toits d'immeubles dans les rues de la capitale où cette marche devait se tenir.
Un rassemblement de professionnels de divers secteurs, qui a aussi appelé à une large grève débutée lundi dans les hôpitaux, avait appelé à cette marche pour déposer une demande officielle exigeant la démission de M. Béchir.
- "Traîtres" -
Le président soudanais était lui en déplacement mardi dans le gouvernorat d'Al-Jazeera, au sud de la capitale, "accompagné de nombreux ministres", a annoncé l'agence de presse officielle Suna.
Le chef de l'Etat y a dénoncé "des traîtres, des agents, des mercenaires" qui "sabotent" selon lui les installations et les institutions de l'Etat, lors d'une allocution publique retransmise à la télévision.
"L'Etat va entreprendre de vraies réformes pour garantir une vie digne aux citoyens", avait-il toutefois promis lundi soir, dans une première réaction officielle depuis le début du mouvement.
Le Soudan est confronté à une grave crise économique depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011. Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole, le pays a vu l'inflation s'établir à près de 70% tandis que la livre soudanaise plongeait face au dollar américain.
Le 12 octobre 2017, la levée de sanctions imposées par Washington avait suscité un espoir de relance économique. Mais plusieurs hommes d'affaires soudanais ont affirmé à l'AFP que la décision américaine de maintenir leur pays sur une liste noire des "Etats soutenant le terrorisme", ainsi que des "opportunités manquées" de réformes, ont empêché le redressement espéré.
Au-delà des revendications sociales, de nombreux manifestants se sont mis à demander "la chute du régime", reprenant un célèbre slogan des soulèvements populaires qui ont marqué le Printemps arabe en 2011. Ce mouvement avait provoqué le renversement du président égyptien Hosni Moubarak et du dictateur tunisien Zine El Abidine Ben Ali.
Accusé par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide dans la province du Darfour (ouest), M. Béchir est décrit par certains analystes comme un dirigeant autoritaire et imprévisible.
Plusieurs opposants ont été arrêtés depuis le début du mouvement, ont affirmé une alliance de partis de gauche et le Parti communiste.
Au début de cette année, des manifestations contre la hausse du coût des denrées alimentaires avaient déjà secoué le Soudan. Mais elles avaient très vite matées.
Selon plusieurs experts, le régime doit absolument se réformer s'il veut éviter une radicalisation du mouvement.