Le procès diminué et controversé du régiment Azov en Russie

En juin, un tribunal à Rostov-sur-le-Don a commencé à examiner le dossier de 24 prisonniers de guerre que la Russie considère comme des membres du régiment ukrainien Azov. Il s'agit du plus grand procès lié à la guerre organisé en Russie à ce jour. Les accusés, dont neuf femmes cuisinières, sont poursuivis pour participation à un groupe terroriste. Mais certains défenseurs des droits de l'homme estiment qu'il s'agit d'une "parodie de justice".

Procès Azov en Russie - L'usine Azovstal en Ukraine, partiellement détruite par des affrontements militaires entre le régiment Azov et les forces armées russes.
L'aciérie Azovstal dans la ville ukrainienne de Mariupol en août 2022, trois mois après l'invasion russe et la reddition d'environ 2 500 combattants ukrainiens. © Stringer / AFP
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En mai 2022, la Russie capture environ 2 500 soldats à "Azovstal", une usine sidérurgique à Marioupol. La principale ville ukrainienne sur la côte nord de la mer d'Azov est alors assiégée depuis trois mois et les troupes russes en prennent désormais le contrôle total. C'est à Marioupol que les autorités russes annoncent, le mois suivant, qu'elles y organiseront un procès de masse des membres du bataillon ukrainien Azov, officiellement désigné par la Russie comme un groupe "terroriste". Le projet de ce maxi-procès ne se concrétisera toutefois jamais. Un an plus tard, c’est dans la ville russe de Rostov-sur-le-Don qu’une procédure pénale se trouve ouverte contre 24 de ces prisonniers. Il s'agit du plus important dossier porté devant le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don.

Lors de l'audience du 14 juin, le procureur précise que deux des accusés ont déjà été échangés. Il s'agit du lieutenant d'Azov David Kasatkin et du soldat Dmitry Labinsky. Le procureur ne précise pas s'ils seront jugés par contumace. Leurs noms figurent toujours dans les documents publiés sur le site Internet du tribunal. Les 22 autres personnes se trouvent dans un centre de détention provisoire à Rostov-sur-le-Don. Lors de la dernière audience, le 28 juin, 20 d’entre eux se trouvent dans la salle d'audience. Deux accusés n'ont pas été amenés pour cause de maladie.

Il y a neuf femmes parmi les accusés. À "Azov", elles travaillaient principalement comme cuisinières ou effectuaient des tâches ménagères. Par exemple, Natalya Golfiner, 49 ans, dirigeait l'entrepôt alimentaire d'Azov dans le village d'Urzuf, dans le district de Marioupol. "Je faisais mon travail pour subvenir aux besoins de ma famille. Mon mari devait être opéré d'une hernie discale et ma fille était enceinte et avait également besoin d'une aide financière", déclare-t-elle lors de son interrogatoire, cité par un média russe. Les autres cuisinières sont Lilia Rudenko, Elena Avramova, Vladislava Mayboroda, Alena Bondarchuk, Lilia Pavrianidis, Irina Mogitich, Marina Tekin et Nina Bondarenko. L'une d'entre elles a commencé à travailler dans le régiment après avoir obtenu un diplôme d'une école technique, une autre a été conseillée par des connaissances. Certaines de ces femmes préparaient la nourriture pour les soldats dans les souterrains d'Azovstal pendant qu'ils tenaient le front.

Seulement six militaires actifs sur 22 accusés

Certains des accusés ne faisaient plus partie du régiment Azov au moment où les hostilités ont commencé. Par exemple, Oleksandr Irkh a été arrêté en avril 2022 par la milice de la République populaire autoproclamée de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, mais il n'avait servi dans l'unité de chars d’Azov qu'entre 2015 et 2020. Alexander Mukhin, Anatoly Gritsyk, Yaroslav Zhdamarov, Oleg Mizhgorodsky, Oleg Tyshkul et Artem Grebeshkov sont également d'anciens membres du bataillon. Ils l'ont quitté entre 2018 et 2021.

Seuls six accusés sont des militaires actifs de la Garde nationale ukrainienne. Il s'agit d'Oleg Zharkov, Artur Gretsky, Alexander Ishchenko, Alexander Merochenets, Alexei Smykov et Nikita Timonin. Ils ont été capturés au printemps 2022, certains à Marioupol mais pas toujours à l'usine métallurgique Azovstal.

Le 14 juin, le procureur a établi l'identité des accusés. Le 28, il lit l'acte d'accusation en se référant aux normes juridiques de la République populaire autoproclamée de Donetsk. Il demande donc à la Cour d'ajourner l'audience et de donner du temps pour mettre l'affaire en conformité avec le code pénal russe. La prochaine audience devrait avoir lieu le 19 juillet. Les accusés devront alors déclarer leur position sur le dossier et reconnaître ou non leur culpabilité.

"La plupart des accusés n'étaient pas du tout des combattants et n'avaient rien à voir avec des actions armées", déclare Roman Kiselyov, militant des droits de l'homme. "Théoriquement, on peut imaginer que les membres d'une formation armée peuvent atteindre certains objectifs terroristes par leurs actions. Mais je ne vois pas très bien comment des cuisinières peuvent les mettre en œuvre lorsqu'elles préparent des repas." L'avocat rappelle qu'Azov était une entité légale en Ukraine et qu'elle était intégrée aux forces armées du pays. Par conséquent, les personnes qui s'y rendaient pour des emplois non militaires ne pouvaient pas prévoir de telles conséquences à cause de leur travail. "Comme d'habitude, tout le fardeau retombe sur les plus faibles et les moins protégés", note Kiselyov.

Échanges de prisonniers de haut niveau

La Cour suprême de Russie a reconnu le régiment Azov comme une formation terroriste en août 2022. Le bureau du procureur général l'avait demandé en mai, dans le contexte du retrait des combattants du régiment d'Azovstal. Pendant trois mois, l'usine était restée le seul endroit de la ville qui n'était pas sous le contrôle de l'armée russe. En avril, le président russe Vladimir Poutine s'était abstenu de prendre d'assaut Azovstal, ordonnant son blocage. Avec la médiation de l'Onu, les négociations sur l'évacuation des civils et des combattants ukrainiens s’étaient intensifiées. Début mai 2022, les civils étaient d'abord sortis de l'usine, puis les blessés avaient été évacués et, enfin, les militaires avaient commencé à se rendre. Le 20 mai 2022, Azovstal était passé sous le contrôle total des forces russes. Selon le ministère russe de la défense, 2 439 combattants du régiment Azov se sont rendus. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a confirmé que plus de 2 500 défenseurs d'Azovstal s'étaient rendus.

Le 29 juin 2022, Moscou et Kyiv procèdent à un échange de 144 prisonniers de part et d'autre. Parmi les combattants échangés se trouvent des membres d'Azov. Il s'agit alors de l'échange le plus important depuis le début de la guerre. La Douma russe (parlement) s'oppose à l'extradition des combattants d'Azov. Son président, Vyacheslav Volodin, doit même trouver des excuses à cette décision. Il assure n’avoir échangé que des "soldats ukrainiens gravement blessés et incapables de participer aux hostilités". Le bataillon Azov revêt en effet une importance politique particulière en raison de son association d’origine et peut-être continue avec des groupes d'extrême droite et l'idéologie néonazie.

"Tous les membres du bataillon Azov font l'objet d'une enquête : qui est impliqué dans quoi, ce qu'ils ont fait", déclare Volodin lors d'une session parlementaire l'été dernier. Cependant, quelques mois plus tard, en septembre 2022, la Russie rend à l'Ukraine cinq autres officiers supérieurs d'Azov : le commandant Denis Prokopenko (autrement appelé "Radis"), le commandant par intérim de la 36e brigade séparée de marines Sergei Volynsky ("Volyn"), le commandant du 1er bataillon séparé de marines Yevgeny Bovu, ainsi que Svyatoslav Palamar et Oleg Khomenko.

L'échange de commandants fait partie d'un accord qui prévoit le retour de 200 autres Ukrainiens et de dix étrangers. La Russie, elle, reçoit 55 prisonniers de guerre en échange, ainsi que l'homme d'affaires et politicien pro-russe Viktor Medvedchuk. Dans les médias, celui-ci est appelé le "parrain" du président russe Vladimir Poutine.

D'autres prisonniers d'Azovstal vont suivre. Au moins 86 d'entre eux ont été remis à l'Ukraine en novembre, et 45 autres en mai de cette année. Le sort de centaines de prisonniers n'est toujours pas connu.

Membres d'un groupe terroriste ou participants aux hostilités ?

Les prévenus sont également accusés d'avoir tenté de renverser l'ordre constitutionnel et d'avoir été formés pour mener des activités terroristes. Certains d'entre eux risquent la prison à vie. "Je me demande qui les accusés pourraient essayer de renverser s'ils opéraient sur le territoire internationalement reconnu de l'Ukraine à une époque où la Russie elle-même ne reconnaissait pas les "républiques" [de l'est et du sud de l'Ukraine] comme des sujets de droit international", s'interroge Kiselyov. Tous les accusés ont en effet été détenus au printemps 2022 et le "référendum" sur le rattachement des territoires occupés à la Russie n'a eu lieu qu'à l'automne. En outre, "l'accusation d’avoir suivi un entraînement fait en réalité doublon avec l'accusation d’avoir participé à une organisation terroriste : la participation à l'organisation implique une gamme d'activités, dont l'entraînement", ajoute Kiselyov.

Kiselyov souligne d'autres problèmes procéduraux dans ce dossier. Initialement, il avait été décidé de juger les prisonniers conformément au code pénal de la République populaire autoproclamée de Donetsk. Pour cette raison, une partie des actes d'enquête se sont déroulés en l'absence des avocats des accusés. La loi de la "république" ne prévoit pas la présence obligatoire de la défense dans une affaire pénale. "Toute preuve obtenue en violation de la règle fondamentale de l'accès à un avocat professionnel ne peut être considérée comme admissible devant un tribunal russe. Mais cette question a été soigneusement omise", observe l'avocat spécialisé dans les droits de l'homme. "À mes yeux, jusqu'à présent, la procédure est une parodie de justice", résume-t-il.

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