Minorité yézidie: procès demandé en France pour génocide contre l'ex-épouse d'un émir du groupe Etat islamique

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La justice française a demandé mardi un procès pour génocide et crimes contre l'humanité à l'encontre de Sonia M., "revenante" de Syrie et ex-épouse d'un émir du groupe Etat islamique (EI), soupçonnée d'avoir réduite en esclavage une adolescente yézidie.

Le parquet national antiterroriste (Pnat) demande également que Sonia M. soit jugée pour participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle et complicité de crimes contre l'humanité, ont indiqué à l'AFP des sources proches du dossier, confirmées par le ministère public.

Après les réquisitions, il revient au magistrat instructeur de trancher sur la tenue d'un procès ou non. Ce dossier pourrait déboucher sur "le premier procès d'une revenante pour crimes contre l'humanité" en France, note Me Romain Ruiz, avocat de la jeune Yézidie.

"Ce que ma cliente attend de notre pays, c'est qu'on apaise enfin concrètement sa soif de justice et qu'on répare autant que faire se peut l'enfer qu'elle a vécu", explique Me Ruiz.

Sonia M., née dans le sud de la France et âgée de 35 ans, est accusée d'avoir, au printemps 2015, exploité une adolescente yézidie en Syrie qui aurait été achetée par son ex-mari Abdelnasser Benyoucef, considéré comme l'un des créateurs de la cellule opérations extérieures de l'EI.

En requérant un procès pour crimes contre l'humanité et complicité, le Pnat l'accuse d'emprisonnement, de torture, de persécution du groupe yézidi "pour des motifs d'ordre religieux et sexiste" et de complicité de viols imputés à son ex-époux.

En ce qui concerne les soupçons de génocide, le Pnat retient "l'atteinte grave à l'intégrité psychique ou physique" de la Yézidie, et sa "soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction du groupe" yézidi.

Incarcérée à son retour de Syrie, Sonia M. avait témoigné lors de procès pour des crimes terroristes - des prises de parole qui font d'elles une "repentie convaincue", d'après les mots de son avocat.

"Ma cliente conteste l'intégralité des faits qu'on lui reproche et reste sereine quant à l'issue de cette procédure", a affirmé Me Nabil Boudi. "Le Pnat veut à tout prix son procès alors que les infractions pour lesquelles ma cliente est poursuivie ne sont ni constituées en droit, ni en fait", s'est-il indigné.

Le Pnat a également demandé un procès pour l'ex-époux, ancien émir de l'EI présumé mort en mars 2016 dans la zone syro-irakienne, mais visé par un mandat d'arrêt.

Le ministère public réclame qu'il soit jugé pour génocide, crimes contre l'humanité et complicité de ces crimes ainsi que pour direction d'une association de malfaiteurs terroriste criminelle.

Aussi connu sous le nom d'"Abou Mouthana", il avait déjà été condamné en son absence en France pour l'attentat avorté de Villejuif de 2015.

- "Réparer ce qu'elle a vécu" -

Depuis une dizaine d'années, la justice française chercher à "documenter les crimes" commis sur des minorités sous l'Etat islamique. Elle a ouvert fin 2016 une enquête dite "structurelle".

Les investigations concernant Sonia M. se fondent notamment sur le témoignage de la partie civile, aujourd'hui âgée de 25 ans, kidnappée en août 2014 en Irak et vendue à plusieurs familles jihadistes, dont le foyer d'Abdelnasser Benyoucef et Sonia M.

Selon des éléments de l'enquête dont l'AFP a eu connaissance, la Yézidie a dénoncé un quotidien de maltraitance, affirmant avoir été séquestrée pendant plus d'un mois au printemps 2015 en Syrie.

Lors d'une audition en février dernier, elle a raconté qu'elle ne pouvait ni boire, ni manger ni se doucher sans l'autorisation de Sonia M. Elle a aussi accusé cette dernière de l'avoir violentée à deux reprises et d'avoir été au courant que son mari la violait.

Sonia M. a contesté avoir commis tout sévices et dénoncé "un seul viol" de son ancien époux. L'adolescente "sortait librement de sa chambre, mangeait ce qu'elle voulait, allait aux toilettes quand elle avait besoin", a-t-elle affirmé en mars lors de son interrogatoire.

Sonia M. a assuré que son mari ne lui avait pas "demandé son avis". "Il m'a dit que cela allait être, je n'aime pas ce mot, son esclave, que c'était un droit qu'on lui avait octroyé et que je n'avais pas le droit de le contredire, que c'était un ordre divin".