A Columbia, la colère des étudiants alimentée par "ce qu'ils voient sur les réseaux sociaux comme un génocide" (historien)

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La fin de la contestation à l'université Columbia coïncide avec la retraite d'un de ses professeurs les plus emblématiques de la cause palestinienne: l'historien américain du Proche-Orient Rashid Khalidi pour qui l'indignation "morale" d'étudiants se nourrit de "ce qu'ils voient sur les réseaux sociaux comme un génocide".

Lors d'une cérémonie à Columbia vendredi, Rashid Khalidi, né à New York en 1948 d'un père saoudien d'origine palestinienne de Jérusalem, diplomate à l'ONU, et d'une mère décoratrice libanaise, a minimisé son influence sur le mouvement qui vient de secouer l'université où il enseigne depuis 20 ans.

"J'espère avoir eu un certain impact grâce à mes travaux mais je ne crois vraiment pas que des étudiants mettent en péril leur carrière à cause de quelque chose que j'aurais écrit", a estimé dans un entretien à l'AFP ce spécialiste de l'histoire du nationalisme et du colonialisme au Proche-Orient et auteur d'une dizaine de livres.

Le dernier, "The Hundred Years' War on Palestine: A History of Settler Colonialism and Resistance, 1917-2017" (Metropolitan Books 2020), est pourtant un best-seller depuis le début de la guerre que conduit Israël contre le mouvement islamiste palestinien Hamas dans la bande de Gaza.

- Liens avec Obama -

Diplômé de Yale et d'Oxford, universitaire à Chicago, Washington, New York, Beyrouth, impliqué dans les années 1980-1990 dans la politique libanaise et palestinienne, conseiller diplomatique sur le conflit israélo-palestinien, lié à l'ex-président Barack Obama, M. Khalidi a toujours dénoncé l'occupation israélienne et s'est montré sceptique sur la réalisation de la solution à deux Etats.

Il est montré du doigt à droite pour ses positions anti-israéliennes et antisionistes.

Il a même été taxé en janvier 2017, juste avant le début de la présidence de Donald Trump, de propos flirtant avec l'antisémitisme: il avait alors déclaré "qu'un groupe de gens, beaucoup en Israël, certains aux Etats-Unis (...) allaient infester notre gouvernement".

Lorsqu'a commencé l'administration Trump (2017-2021), l'une des plus pro-israéliennes de l'histoire des Etats-Unis, M. Khalidi s'était défendu de tout antisémitisme et avait nié vouloir dénoncer l'influence de "juifs de droite" israéliens et américains sur la diplomatie des Etats-Unis.

Foyer historique des révoltes estudiantines depuis la guerre du Vietnam et le mouvement des droits civiques des années 1960-1970, Columbia a été l'épicentre depuis mi-avril d'une contestation -touchant une quarantaine de campus américains- contre la guerre à Gaza et les partenariats éducatifs et financiers de leurs universités avec Israël.

- Juifs antisionistes -

Des étudiants et militants propalestiniens -- jeunes américains arabo-musulmans mais aussi juifs de gauche antisionistes -- dénoncent le "génocide" qu'Israël commettrait contre les Palestiniens avec la complicité de son allié américain.

Pour Rashid Khalidi, cette indignation d'une partie de la jeunesse peut s'expliquer par "ce qu'elle a vu sur ses téléphones et les réseaux sociaux".

"Une grande partie de cette génération a le sentiment qu'il y a un impératif moral à s'opposer à ce qu'elle voit sur ses téléphones comme constituant un génocide", explique à l'AFP, en pesant ses mots, l'historien de 75 ans toujours engagé.

Dans un pays polarisé, à six mois d'une élection entre le président sortant démocrate Joe Biden et l'ancien locataire républicain de la Maison Blanche Donald Trump, le mouvement étudiant a ravivé le débat périlleux entre liberté d'expression, antisionisme et propos assimilés à de l'antisémitisme.

Au lendemain de l'intervention manu militari de la police anti-émeute le 30 avril au soir sur le campus de Columbia, inédite depuis 1968, le professeur Khalidi et des collègues propalestiniens ont protesté contre leur présidente Minouche Shafik. Cette économiste américaine d'origine égyptienne de renom serait "tombée dans le déshonneur" en appelant la police pour déloger les manifestants.

Après des jours de silence, le président Biden avait invoqué "l'ordre" face au risque de "chaos".

Rashid Khalidi rappelle alors aux protestataires: "Vous pouvez parler tant que vous voulez, cela n'arrêtera pas les bombes car les hommes politiques n'écoutent pas".

"J'imagine qu'ils (les étudiants) se disent +On va faire un pataquès, on va être des agitateurs+", espère l'historien.