Majdi Nema : le procès des témoins in absentia

Le procès à Paris pour complicité de crimes de guerre du Syrien Majdi Nema entre ce vendredi dans sa dernière phase : les plaidoiries finales. Mais l’absence de nombreux témoins – tant du côté de l’accusation que de la défense – aura pesé sur les débats. 

Photo : un avocat traverse la Salle des pas perdus du Palais de justice de Paris (France).
Le premier procès à se tenir en France en présence d'un accusé syrien, en cours au Palais de justice de Paris, peine à faire venir les témoins – pourtant au coeur de la preuve. Photo : © Britchi Mirela
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Il dit être venu « pour témoigner de ce qu’il a vu » parce qu’il s’est promis à lui-même « de toujours faire quelque chose contre ceux qui commettent des exactions ». Pendant plusieurs années, Ahmed* raconte avoir indifféremment documenté les crimes du régime et des groupes rebelles commis dans la Ghouta orientale, en Syrie.

Aujourd’hui encore, dit-il, ce travail lui vaut de recevoir de nombreuses menaces. Pour se préserver de ces éventuels « risques », le militant syrien réfugié en France a requis l’anonymat, comme les deux autres personnes physiques qui se sont constituées parties civiles. En cause : un climat « de menaces et de pressions » à leur encontre, qui « a eu lieu tout le long de l’instruction » et qui ce serait poursuivi « jusqu’à très récemment », selon leur avocat, Marc Bailly. 

Dans ce procès, depuis le 29 avril, Majdi Nema est jugé pour complicité de crimes de guerre et « entente » avec le groupe Jaysh al-Islam, « en sa qualité de porte-parole, de cadre du renseignement et de conseiller stratégique de la direction du groupe ».

Menaces sur les témoins de l’accusation

Invoquant des menaces ou des risques, plusieurs témoins ont fait savoir qu’ils renonçaient à venir témoigner, dès l’ouverture du procès ou les jours suivants. Mais au-delà de « menaces parfois directes » qui ont pu les viser, Me Bailly explique aussi ces absences par le changement de régime et l’intégration de certains groupes rebelles – dont Jaysh al-Islam – au sein des institutions du nouveau gouvernement de Damas.

Les témoins « ne veulent pas insulter l’avenir » au cas ils souhaiteraient retourner en Syrie, « et ils ne veulent pas non plus mettre en péril leurs familles » qui y sont restées – et sur qui leurs témoignages pourraient avoir des répercussions, explique l’avocat lors de la toute première audience du procès. Au total, selon le parquet national antiterroriste (PNAT), dix témoins syriens qui devaient être entendus à sa demande ne se sont pas présentés.

Absence de témoins de la défense

Du côté de la défense, pour des raisons bien différentes, l’absence des témoins est totale. Les avocats de Nema, Romain Ruiz et Raphaël Kempf, avaient initialement demandé que soient entendues cinq personnes à décharge. Trois vivent en Syrie, deux en Turquie. Mais aucune, dénoncent-ils, n’a manifestement reçu sa citation à comparaître. Si cela ne les étonne pas s’agissant de la Syrie – au vu du contexte et du changement de régime – il n’en va pas de même pour la Turquie, avec qui la France entretient des liens de coopération judiciaire.

Les autorités turques n’auraient jamais répondu au bureau d’entraide pénale internationale (BPI) du ministère de la Justice, qui leur avaient demandé de signifier aux deux témoins leurs convocations devant la Cour d’assises de Paris. Après plusieurs semaines d’incertitude quant à la possibilité de les auditionner, et quelques discussions houleuses à l’audience sur qui devait porter la responsabilité cette absence, le président de la Cour a décidé « de passer outre » – excluant l’organisation d’une rencontre à distance, en visioconférence, via une application de messagerie cryptée. « Voilà l’état de la coopération en matière de justice pénale internationale », se sont agacés les avocats de Nema – qui ont finalement plaidé pour une demande de renvoi du procès dans la soirée du lundi 19 mai. Face à la Cour, ils  ont demandé une simple « décision de justice », puisque « tout homme a le droit à une défense ». La requête a été rejetée le lendemain matin.

Finalement, seuls deux témoins cités par le parquet à la demande de la défense – considérés comme pertinents pour éclairer le rôle de Nema au sein de Jaysh al-Islam – auront été entendus.

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« Nous ne sommes pas les avocats de Jaysh al-Islam »

Un report du procès, a fait valoir Me Kempf dans sa plaidoirie, aurait pourtant permis aux parties de se rendre en Syrie, pour y chercher de nouveaux témoins ou victimes participant « à la manifestation de la vérité ». Car selon lui « le procès part dans tous les sens ». Depuis plusieurs jours, la défense déplore que « l’immense majorité des débats soient extrêmement éloignés de ce dont Nema est accusé », et que des heures entières aient été « perdues » à entendre « des témoins qui ne connaissent pas l’accusé ».

Conséquence, selon Me Ruiz, de la manière dont le procès s’est construit. En aparté, il précise : « La justice française veut rendre justice sur les crimes commis en Syrie. Mais au lieu de faire le procès de Majdi Nema, elle fait le procès de Jaysh al-Islam. C’est d’ailleurs pourquoi nous n’intervenons pas systématiquement en audience : nous ne sommes pas les avocats de Jaysh al-Islam. Le problème, c’est que ce n’est pas le groupe en tant que personne morale qui encourt vingt ans de prison, mais Majdi Nema, qui est déjà incarcéré depuis cinq ans. »

Sur l’opportunité de se rendre en Syrie aux fins d’y rencontrer des témoins, « les choses sont bien plus difficiles pour nous depuis la chute du régime », leur répond Me Bailly, qui conteste toute « rupture d’égalité ». « Comme vous, assène-t-il à la défense, j’aurais aimé pouvoir me rendre sur place déjà avant ce procès. Mais je n’ai pas pu, parce qu’il n’était pas possible d’assurer ma sécurité. » L’avocat des parties civiles rappelle les craintes et les menaces subies par les témoins, mais aussi par les organisations des parties civiles qu’il représente - le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM), la Fédération internationale des droits humains (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Refus de visas français pour certains témoins

Par ailleurs, du côté de l’accusation, nul ne conteste le poids de l’absence de certains témoins qui auraient permis d’éclairer davantage le rôle de Nema au sein de Jaysh al-Islam. Lors de son audition en tant que représentant du SCM, Mazen Darwish a d’ailleurs regretté que plusieurs d’entre eux n’aient pas pu venir « à cause du danger pour eux ou leurs familles ». Mais il a également tenu « à protester devant la Cour » car, estime-t-il, plusieurs « témoins importants » n’ont pas été « soutenus par la France pour venir témoigner ». Plus exactement, ils n’auraient pas obtenu leur visa, les empêchant de se présenter.

Au moins un « témoin clé » serait en effet concerné. Il s’agit d’un jeune homme qui avait été auditionné au cours de l’instruction judiciaire et dont le témoignage devait être entendu jeudi 22 mai – a priori à huis-clos. D’après l’arrêt de mise en accusation, le jeune homme (renommé « témoin Xh3 ») a décrit aux enquêteurs les circonstances de son enrôlement dans un camp d’entraînement « au cours de sa minorité » pour y une suivre une formation « vantée par Jaysh al-Islam », avant d’être affecté au sein d’une brigade du groupe rebelle. Sur la formation, il précise qu’elle « s’adressait aux jeunes de 13 à 14 ans » ; lui-même était âgé de 13 ans, précise Me Bailly à Justice Info. 

Dans sa déclaration aux enquêteurs, « Xh3 » ajoutait avoir aperçu Nema, alias Islam Alloush, à l’occasion de réunions « avec l’état-major » du groupe rebelle, et qu’il l’aurait aussi vu infliger « des mauvais traitements sur des personnes détenues ».  

 « Mais il n’a pas obtenu son visa », constate Me Bailly, en dépit de l’importance que pouvait représenter son témoignage devant la Cour d’assises de Paris – qui juge précisément Nema pour des accusations de complicité d’enrôlement ou de conscription de mineurs. En l’espèce, Nema est soupçonné d’avoir apporté « son concours » dans leur recrutement, leur formation, et en participant à la diffusion d’éléments de propagande destinés à les « endoctriner ».

Le refus d’octroyer un visa au « témoin Xh3 » relève d’un blocage du ministère de l’Intérieur, regrette Me Bailly auprès de Justice Info, pour qui « la politique est aujourd’hui de ne pas accueillir les gens dont on n’est pas certain qu’ils puissent repartir dans leur pays d’origine », sans autres considérations.

A la Cour, les déclarations du « témoin Xh3 » n’ont pas été lues ce jeudi par le président, comme ce fut le cas des déclarations d’autres témoins absents. Me Bailly indique qu’il pourrait néanmoins revenir sur certains des éléments apportés par le jeune homme au cours de l’instruction dans sa plaidoirie finale, prévue lundi.


* Prénom d'emprunt

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