La CPI, une cour « sans tête »

Alors que s’ouvre aujourd’hui l’Assemblée annuelle des États parties à la Cour pénale internationale (CPI), Justice Info passe en revue les principaux défis auxquels est confrontée une cour en danger de mort, attaquée de toutes parts, abandonnée par certains États et dépourvue de leadership.

Au moment de l'ouverture de l'Assemblée des États parties (ASP) à la Cour pénale internationale (CPI), de nombreux défis s'imposent à elle. Photo montage apposant un portrait de Karim Khan, dont la tête a été effacée, devant les bureaux de la CPI à La Haye.
L’Assemblée des Etats parties à la Cour pénale internationale s’ouvre ce lundi 1er décembre à La Haye, avec une question brûlante qui n’est pas officiellement à l’agenda mais qui occupe tous les esprits : celle de la gouvernance de la cour, en l’absence de son procureur principal. Montage photo par Justice Info.
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Tous les six mois, la Cour pénale internationale (CPI) rend compte à l’Organisation des Nations unies des progrès réalisés dans les deux situations renvoyées devant la Cour (Libye et Soudan).

Cette semaine, c’était à nouveau au tour de la Libye. Au cours des 15 années d’enquête de la CPI, aucune affaire n’a été portée devant la Cour. C’est donc avec fierté que la procureure adjointe Nazhat Shameen Khan a pu annoncer cette fois aux États qu’il y avait « un nouvel élan vers la justice en Libye » en raison du transfert prévu d’un suspect libyen arrêté en Allemagne. Bien que cela ne soit pas encore fait, le ton était optimiste, laissant entrevoir « un avenir meilleur », grâce au succès des nouvelles approches adoptées pour faire face à la crise migratoire en Libye. Le fait que les autorités de Tripoli aient même accepté la compétence temporaire de la Cour constitue, selon elle, « un moment important ».

Mais la diversité des réactions des membres du Conseil de sécurité des Nations unies illustre bien la réalité des relations entre la Cour et les États : de l’hostilité ouverte des États-Unis, qui a sanctionné neuf personnels de la Cour, dont six juges et Mme Khan elle-même, au mépris de la Russie pour une Cour qui perd clairement ses soutiens internationaux – avec quatre retraits annoncés du Statut de Rome cette année –, aux propos enthousiastes de la Slovénie et de la Sierra Leone au sujet des interactions de la Cour avec la société civile libyenne et sur l’engagement de la communauté internationale en faveur de la redevabilité.

Appels au changement de gouvernance

La crise existentielle actuelle de la Cour ne résulte pas seulement des pressions exercées par certains États qui la critiquent, mais aussi de la question de savoir si ses partisans la soutiennent véritablement, dans un contexte d’appels au changement de gouvernance. L’enquête sur les allégations d’abus sexuels de la part du procureur principal de la Cour est toujours en cours. « Le procureur a toujours été le visage public de la Cour », souligne Mark Ellis, président de l’Association internationale du barreau (IBA), et « cette lacune suggère que la CPI est en quelque sorte sans direction ». Et, bien qu’il prenne soin de préciser que les deux adjoints font un excellent travail, depuis six mois maintenant la Cour est « sans tête à un moment où elle en a besoin ».

Le moral du personnel a été gravement affecté. Dans une enquête réalisée en 2025 auprès de son personnel, que Justice Info a pu consulter, moins de la moitié des employés disaient qu’ils recommanderaient la CPI comme lieu de travail et moins d’un tiers qu’ils estiment que l’on trouve à la CPI une atmosphère ouverte et honnête. Au sein du bureau du procureur, moins d’un quart des employés disent se sentir en sécurité pour signaler des cas de discrimination, de harcèlement ou d’abus d’autorité sans craindre des représailles. « Ces résultats mettent en évidence de profonds défis systémiques en matière de confiance et de gouvernance au sein de la Cour », déclare la FIDH dans une nouvelle ‘note de position’.

Sanctions : « Les gens sont terrifiés »

Lors de la réunion annuelle des partisans de la Cour qui s’ouvre cette semaine à La Haye, les activités semblent devoir se poursuir comme d’habitude, avec un débat principal sur son budget annuel et une série de sessions sur des sujets tels que l’écocide, le crime d’agression et les violences sexuelles.

Mais dans le même temps, les sanctions américaines, qui visent à protéger les États-Unis et leurs alliés tels qu’Israël contre les enquêtes de la CPI, touchent déjà des individus et ont un effet domino. La Cour a elle-même du mal à quantifier leurs répercussions. Certains changements techniques internes auraient déjà été effectués pour s’affranchir d’outils informatiques dont les fournisseurs sont basés aux États-Unis. Mais peu d’informations sont rendues publiques. La question principale, si l’institution est soumise à des sanctions totales, concernera les opérations bancaires et les paiements. Selon Danya Chaikel, représentante de la FIDH auprès de la Cour, la question se pose clairement de savoir comment « maintenir les lumières allumées ». « Les banques ont tendance à être très strictes en matière de conformité », explique Ellis, et elles ont besoin d’une « certitude absolue » concernant toute solution technique alternative, telle qu’une loi de blocage de la Commission européenne qui pourrait rassurer les entreprises sur le fait qu’elles seraient indemnisées en cas d’amendes.

Cette menace de sanctions tétanise les esprits, explique Chaikel. Et les dirigeants d’ONG consacrent une part importante de leur temps à gérer ce risque, indique Ellis. « Les gens sont terrifiés », dit-il. « Si vous avez la nationalité américaine, ou si vous avez de la famille aux États-Unis ou tout autre lien avec ce pays, la menace d’une amende de plusieurs centaines de milliers de dollars ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 20 ans n’est pas une mince affaire ».

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Par ailleurs, ce que signifie « apporter un soutien matériel à des personnes ou entités désignées », tel que défini dans le décret américain, « n’est pas clairement défini », explique Chaikel. « Les zones d’ombre font que les gens ont souvent tendance à se prémunir de manière excessive. Et bien sûr, cela ne concerne pas seulement les particuliers, mais aussi toutes les entreprises, les assureurs, les banques et les sociétés informatiques, qui peuvent du jour au lendemain décider de « ne pas travailler avec qui que ce soit en rapport avec la CPI, l’Afghanistan ou la Palestine, car ils ne veulent pas faire l’objet de sanctions ou d’amendes colossales de la part des États-Unis, où se situe leur plus important marché ou leur siège ». Je ne pense donc pas que l’on puisse minimiser l’impact de cette mesure.

« Nous réagissons au cas par cas », ajoute Ellis. Mais « ce que je ne suis pas prêt à faire, c’est capituler complètement et dire que la solution la plus sûre, qui serait sans doute efficace, est de mettre fin à toutes les opérations et relations avec la Cour et son personnel. Je pense que c’est aller trop loin. Cependant, cela comporte des risques », ajoute le directeur de l’IBA, qui est enregistrée à New York.

« Cela a entraîné des départs dans de nombreuses ONG, qui ne sont pourtant pas elles-mêmes visées », explique Chaikel. « Les gens démissionnent ou doivent simplement être si prudents que tout change à chaque réunion. Nous prenons des précautions dans tout ce que nous faisons. » Néanmoins, elle ajoute : « Nous menons un plaidoyer pour que les ONG puissent rester opérationnelles et continuer à mener leurs activités juridiques en Europe, où se trouve la CPI, et pour qu’il n’y ait rien d’illégal à documenter des atrocités potentielles et à transmettre ces informations à une cour internationale qui compte 125 États parties, ce qui devrait être pleinement respecté et protégé par les États membres de l’Union européenne. »

La non-coopération des États à l’ordre du jour

Si la procureure adjointe de la Cour s’est montrée enthousiaste à l’idée qu’un suspect libyen soit transféré devant la Cour, elle s’est montrée plus discrète sur l’humiliation subie de la part de l’Italie au début de l’année. La plainte selon laquelle l’Italie n’aurait pas respecté ses obligations est toujours en cours d’examen par les juges de la Cour. La demande du procureur visant à obtenir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant n’a pas reçu le soutien inconditionnel des États les plus engagés de la Cour. Pour la première fois cette année, l’Assemblée des États parties discutera ouvertement de la non-coopération.

La Hongrie et trois États africains ont annoncé leur retrait de la Cour. Lors de la résolution annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies sur la CPI, au début du mois, les votes favorables à la Cour ont par ailleurs diminué de 19 par rapport à l’année dernière, avec une augmentation des abstentions. La Hongrie, le Cambodge et les Fidji, tous membres de la Cour et ayant précédemment voté « oui », se sont abstenus.

Ellis rappelle qu’il y a eu une déclaration de la majorité des États membres, face aux sanctions américaines, selon laquelle « ils feront tout ce qui est nécessaire pour que la Cour puisse continuer à fonctionner normalement ». Mais, dit-il, c’est comme « la plupart des scénarios avec l’administration Trump : vous avez le choix entre accepter la position de Washington ou essayer de riposter, et tous les États doivent faire un choix ». Il reconnaît que même si certains gouvernements ont exprimé un soutien très fort à la Cour, « cela représente moins de la moitié des États parties et certains pays clés n’ont pas signé cette déclaration ». Cela « témoigne des difficultés auxquelles ces États sont confrontés ».

Karim Khan disqualifié

Au cours de l’année écoulée, depuis que le président de l’Assemblée des États parties a annoncé que le procureur de la Cour, Karim Khan, faisait l’objet d’une enquête pour des allégations d’abus sexuels, des détails sur ce qui aurait pu s’être passé ont été largement relayés dans différents médias. Différents camps au sein de la CPI, favorables ou opposés au procureur, ont informé et contre-informé les journalistes. De plus, de graves allégations d’ingérence, potentiellement par des agences étrangères, ont fait surface.

À l’approche de l’assemblée, le débat s’est intensifié, portant sur la question de savoir si le procureur devrait démissionner et dans quelle mesure la crédibilité de la Cour est atteinte.

Nema Milaninia, ancienne conseillère gouvernementale du bureau américain de la justice pénale internationale, écrit dans Just Security que « l’enjeu est la capacité de la Cour à préserver son intégrité face aux dysfonctionnements internes et aux manipulations externes. La question n’est donc pas seulement de savoir si Mr Khan doit être sanctionné, mais si la CPI peut fonctionner de manière crédible sous sa direction ». Michael Karnavas, avocat expérimenté et ancien collègue de Khan, écrit également dans son blog que « le maintien de Mr Khan au poste de procureur de la CPI serait néfaste. Clairement, sa réputation – et par extension son efficacité – a subi un préjudice irréparable. Même s’il est entièrement disculpé de toutes les accusations, il ne peut plus exercer les fonctions de procureur de la CPI avec l’autorité morale, professionnelle et éthique requise ».

Au-delà des allégations d’inconduite sexuelle, le procureur de la CPI a également été disqualifié par les juges dans le cadre de l’affaire contre l’ancien président philippin Rodrigo Duterte, car il avait représenté la Commission philippine des droits de l’homme. Et Khan a aussi été condamné par les juges à se récuser de l’enquête sur le Venezuela, en raison d’un lien familial avec un membre de l’équipe juridique du gouvernement vénézuélien.

Comme le souligne Chaikel, aucun participant à l’Assemblée des États parties ne doit s’attendre à ce que ces questions soient ouvertement débattues en public, car l’enquête sur les abus sexuels n’est simplement « pas à l’ordre du jour ». Néanmoins, certains diplomates ont déclaré qu’ils prévoyaient d’aborder cette question dans leurs déclarations liminaires, reconnaissant qu’il s’agit d’un des problèmes urgents auxquels la Cour sera confrontée à l’approche de 2026.

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