Depuis une à deux décennies, le Sahel vit une crise politique multiforme, marquée par une rébellion islamiste et l’installation de régimes militaires.
Le Mali a été le premier à ouvrir le bal, dès 2011 avec la rébellion dans le Nord. Presque dix ans plus tard, c’est le régime civil de Ibrahim Boubacar Keïta qui tombe, pour être suivi d’une courte transition avant que le colonel Assimi Goïta, alors vice-président, ne prenne le pouvoir le 24 mai 2021. Ensuite est survenue la crise du Burkina Faso, avec le putschiste Blaise Comparé forcé par la rue à la démission. S’en suit une pause civile avant que le 24 janvier 2022, une nouvelle junte militaire ne s’installe au pouvoir à Ouagadougou. Cette même junte a connu par la suite une mutation qui a permis que Ibrahim Traoré devienne le nouveau chef de l’État. Enfin, le Niger a clos le cycle avec le renversement de Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023.
Cette histoire politico-militaire commune aux trois pays, les a poussés à une solidarité, que le reste de l’Afrique de l’Ouest ne semblait plus leur offrir. Le 16 septembre 2023, ils forment l’Alliance des États du Sahel (AES) qui est une confédération des trois États, en même temps qu’ils se retirent du traité ayant créé la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Et, le 22 septembre 2025, ce mouvement de repli s’est poursuivi avec l’annonce de leur retrait du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI).
Cette décision, bien qu’inscrite dans une continuité logique, mérite une autopsie.
Cadre juridique du retrait
Les trois États de la Confédération avaient successivement ratifié le Statut de Rome. Le Mali a été le premier, le 16 août 2000. Le Niger lui a emboîté le pas le 11 avril 2002. Et le Burkina Faso a fermé la marche le 16 avril 2004.
Conformément à l’article 127 du Statut de Rome, il est clairement possible de se retirer de la CPI. Mais un tel retrait doit se faire par une notification au Secrétaire général des Nations unies, qui est le dépositaire de la convention. Le retrait ne prend effet qu’une année plus tard ; et il ne met pas fin aux obligations durant la période où l’État était partie, y compris durant l’année qui va s’écouler entre la notification et le retrait effectif. Enfin, même si les trois États de l’AES ne sont plus parties, leurs nationaux, y compris leurs dirigeants pourraient toujours être poursuivis – soit pour des infractions commises durant la période de ratification ; soit parce que la compétence est couverte par une résolution du Conseil de sécurité ; soit encore parce qu’il s’agit d’infractions sur le territoire d’un État partie. Le retrait est donc encadré par le droit et il ne met pas automatiquement fin à la compétence de la Cour vis-à-vis des ressortissants de l’AES.
Anachronisme pro-Russe ?
Et, si le retrait est possible en droit, il n’y aucune obligation de le justifier. Toutefois, en l’espèce, les trois États ont expliqué que leur retrait est fondé sur le fait que la Cour serait devenue un « instrument de répression néocolonial aux mains de l’impérialisme, devenant ainsi l’exemple mondial d’une justice sélective ».
La première observation est que les États dits « du Sud » sont majoritaires dans l’Assemblée des États parties à la Cour. Il est difficile dans ces conditions que la Cour puisse perpétuer une répression coloniale aujourd’hui. Par ailleurs, les acteurs de la Cour sont indépendants, et certains sont même Africains, notamment Fatou Bensouda par le passé (procureur adjoint puis procureur) et Mame Mandiaye Niang (procureur adjoint), sans compter les juges Africains et l’ancien greffier adjoint Didier Preira. De plus, la CPI n’exerce de compétence que si l’État a failli. Si un État ne veut pas que la Cour s’intéresse aux infractions commises sur son sol ou par ses citoyens, il peut lui-même les sanctionner. La Cour est une juridiction à la compétence subsidiaire. Enfin, les États africains ont eux-mêmes sollicité et participé à la création de la Cour pénale internationale, en participant activement à son fonctionnement.
La seconde observation est que la critique nous semble anachronique.
Il y a une dizaine d’années, la Cour n’avait que des situations africaines en procès. La critique n’était déjà pas justifiée pour les raisons évoquées plus haut, mais elle est encore moins justifiée aujourd’hui quand des citoyens d’autres continents sont mis en cause. Il suffit de mentionner la mise en accusation du premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et du président russe, Vladimir Poutine. Les enquêtes en Afghanistan, qui ont conduit à la mise en accusation du chef suprême des talibans, Haibatullah Akhundzada, et du président de la Cour suprême des talibans, Abdul Hakim Haqqani. Ou l’arrestation de l’ancien président philippin, Rodrigo Duterte, placé en détention à La Haye en mars dernier.
En somme, la motivation affichée n’est pas justifiée et il faut croire qu’il y a anguille sous roche. D’où la spéculation sur une alliance pro-russe. Catherine Maia et Pauline Equin, des chercheuses en droit international, soulignent ce lien et constatent un rapprochement accru des États de l’AES avec la Russie. Et, même s’il y avait une telle ambition, ce retrait n’empêcherait pas la compétence de la CPI vis-à-vis des individus, y compris les membres du groupe Wagner/Africa Corps, ou des armées nationales, si des violations du droit international sont commises.
Vague projet de justice « endogène »
Si la motivation est fausse, le projet indiqué dans le communiqué semble l’être encore plus par son irréalisme. En effet, on peut y lire la volonté de « recourir à des mécanismes endogènes pour la consolidation de la paix et de la justice tout en réaffirmant leur volonté d’assurer la promotion et la protection des droits de l’homme en adéquation avec leurs valeurs sociétales et de lutter contre toute forme d’impunité ». On comprend que la Confédération entend mettre en place sa propre justice pour combler le vide découlant du retrait. Or, on sait qu’un tel projet constitue un défi majeur pour l’Afrique. L’histoire ayant conduit aux Chambres africaines extraordinaires et à la condamnation au Sénégal de Hissène Habré, l’ancien président du Tchad, est là pour attester de ces difficultés, surmontées avec un financement principalement européen, comme nous l’avons écrit il y a déjà une bonne décennie. Ensuite, l’histoire plus récente du Protocole de Malabo de 2014, dont l’objectif est d’étendre aux crimes internationaux la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, que nul État n’a encore daigné ratifier, sauf peut-être l’Angola, vient conforter le doute sur un processus africain. Enfin, identifier la substance des « valeurs sociétales » africaines ou sahéliennes reste en soi une autre inconnue majeure.

Au final, ce projet est rédigé comme une promesse de campagne. Y croire c’est courir un gros risque de déception, et les peuples Africains du Sahel et plus particulièrement de l’AES ne peuvent pas suivre leurs dirigeants sur une telle route. Les rebellions islamistes commettent des exactions. Les régimes militaires en commettent aussi sous prétexte de combattre ces rebellions. Et, dans un cas comme dans l’autre, les peuples sont victimes et ont besoin de recours effectifs pour que soient sanctionnés ces crimes internationaux aujourd’hui et dans la vie présente.
Concrètement, il n’y a pas eu retrait
La projection de lendemains meilleurs est ici un leurre. Mais, il y a encore mieux. En effet, à ce jour, aucune notification au Secrétaire général des Nations unies n’a été publiée sur le portail dépositaire par aucun des trois pays concernés. La dernière notification concernant le Statut de Rome concerne le retrait de la Hongrie en date du 3 juin 2025. Concrètement, cela veut dire qu’il n’y a pas eu retrait, le communiqué n’ayant pas valeur juridique. Il s’agit donc juste d’une intention qui ne s’est pas concrétisée à ce jour, soit plus de deux mois après son expression.
Il faut dès lors s’interroger sur le sérieux de ces États, et sur ce qu’ils ont voulu exprimer. Et il faut espérer que la raison reprendra rapidement le dessus car il n’y a rien à gagner à se retirer du Statut de Rome, d’autant plus que la compétence universelle reste un atout redoutable et toujours disponible pour sanctionner ces infractions hors des pays où elles se commettent.

Juriste spécialisé en droit international des droits humains et en droit international pénal, et anciennement membre du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire de 2014 à 2020. Ancien fonctionnaire du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et de la Cour pénale internationale (CPI). Sètondji Roland Adjovi a plaidé devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, devant les juridictions administratives des organisations internationales et devant la justice sportive. Il poursuit actuellement son doctorat en droit à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).






