Procès « Koko di koko » : le chef milicien condamné à la perpétuité pour crimes contre l’humanité

Après deux mois de procès, le verdict est tombé. Le chef milicien Fréderic Masudi Alimasi, dit « Koko di koko », a été condamné à la perpétuité, ce mardi 19 novembre, par le tribunal militaire de Bukavu (Est de la République démocratique du Congo). Deux autres miliciens écopent de 15 et 20 ans de prison et deux acquittés. Entretien avec Daniele Perissi, responsable de programme Grands lacs à Trial International, l’Ong genevoise qui a appuyé les parties civiles.

Procès « Koko di koko » : le chef milicien condamné à la perpétuité pour crimes contre l’humanité©Claude SENGENYA
Légende : Au bout de deux mois de procès, les trois juges militaires ont rendu leur verdict, mardi 19 novembre : les violences (notamment sexuelles) commises entre février et août 2018 dans les territoires de Shabunda et Mwenga à l'Est du Congo sont bien constitutifs de crimes contre l'humanité.
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JUSTICEINFO.NET : Comment la justice a-t-elle travaillé dans l’affaire Koko di koko ?

Daniele Perissi
Daniele Perissi

DANIELE PERISSI : Il y a plusieurs éléments positifs à saluer dans cette affaire. Premièrement, le fait que l’enquête ait été menée de manière prompte et efficace et que le procès ait eu lieu rapidement après les faits. Koko di koko a été arrêté au printemps 2019 et les crimes en question remontent à l’année 2018. Quand on sait que certains crimes commis il y a plus de dix ans sont encore en cours d’instruction, il faut se féliciter de cette célérité. Autre élément satisfaisant : la tenue d’audiences foraines sur les lieux des crimes pour entendre les victimes, à Mwenga et Shabunda. Nous encourageons cette pratique qui facilite l’accès des victimes à la justice et leur témoignage, sensibilise la population locale et bénéficie à la compréhension des juges. Des victimes qui n’avaient pas eu la possibilité d’être auditionnées pendant l’enquête ont pu se présenter pendant le procès et leur témoignage a pu être pris en compte. Malgré ces points positifs, les conditions sécuritaires difficiles ont découragé certains de témoigner. Le risque zéro n’existe pas dans une zone si instable que l’Est de la RDC, mais il est rare que des personnes renoncent à leur droit d’accéder à la justice à cause d’intimidations.

Les mesures de protection n'ont pas empêché les accusés d'établir leurs arguments, d'interroger les victimes et témoins et d'appeler d'autres témoins de leur choix.

Les droits de la défense ont-ils été limités par la protection des témoins ?

La cour évalue ces mesures de protection au cas par cas. Elle ménage tant la protection des victimes et des témoins que le droit de l'accusé à un procès équitable, aboutissant ainsi à un équilibre entre les droits de la défense et la sécurité des personnes qui témoignent. Dans le cas d'espèce, les mesures de protection n'ont pas empêché les accusés d'établir leurs arguments, d'interroger les victimes et témoins et d'appeler d'autres témoins de leur choix. Les droits de la défense ont donc été respectés.

Pourquoi ce procès est-il si important au Congo ?

Le président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre les milices de l’Est de la RDC une des priorités de sa campagne électorale. Ces groupes représentent une menace inacceptable pour les civils. Ce procès va dans le bon sens et contribue, à long terme, à la pacification du Sud Kivu et à la promotion d’un État de droit. D’autres chefs de guerre ont récemment été confrontés à la justice : Marocain et son complice « 106 », les auteurs des crimes de Kamananga et Lumenje, et bien sûr Sheka dans la province voisine du Nord Kivu. Pour autant, il ne faut pas oublier que les forces étatiques se rendent coupables de crimes graves : des policiers, des gradés des FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo, Ndlr] et même des politiciens comme Frédéric Batumike, dans l’affaire Kavumu. Nul ne doit être au-dessus des lois. Il ne faudrait pas que la lutte contre les milices se transforme en une justice à deux vitesses !

Depuis la présidentielle de 2018, certains dossiers semblent être gelés, à l’instar de l’affaire de Sheka. Pourquoi ?

Le procès Sheka est certes très long, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Les faits sont complexes, les crimes en question s’étalent sur cinq ans et des centaines de kilomètres carrés, à cheval entre deux territoires du Nord Kivu. Il faut du temps pour faire la lumière sur tout cela. De plus, le dispositif de sécurité est lourd et complexe, et retarde les audiences. Mais c’est aussi ce qui peut permettre aux victimes de témoigner sans craindre pour leur vie : il est donc indispensable. Il faut comprendre que l’affaire Sheka est instruite en parallèle à d’autres affaires au Nord Kivu. Contrairement au dossier Koko di koko, les juges ne travaillent pas à plein temps. En outre, des mesures dilatoires employées par la défense ont entraîné des longueurs excessives. Et la récente mutation de l’un des juges de la cour militaire opérationnelle a produit un retard supplémentaire. Malgré ces difficultés, nous avons bon espoir que l’on pourra aboutir à une décision de qualité, qui fera jurisprudence au Nord Kivu.

Quels sont les grands procès attendus pour 2020 ?

Plusieurs dossiers de crimes de masse se trouvent au niveau des autorités d'enquête dans les deux provinces du Sud Kivu et Nord Kivu, comme par exemple le dossier contre le chef rebelle Shimirayi Mwisha Guidon, pour qui le parquet militaire a lancé un mandat d'arrêt il y a quelques mois. Nous ne savons pas quels seront les dossiers que la justice congolaise va renvoyer en procès en 2020, mais il y aura certainement beaucoup de travail encore à accomplir dans la poursuite des responsables de crimes graves à l'Est de la RDC.

La volonté politique exprimée par le Président en matière de sanction des auteurs de crimes graves doit se traduire en engagements concrets.

Que faire pour viser « plus haut » dans les responsabilités ?

Il est très important que l'Etat redouble d’efforts en matière de lutte contre l'impunité dans les années à venir. Il est essentiel de pouvoir consolider les leçons apprises et faire face aux défis toujours existants, comme par exemple en matière de réparations et de sanction des « plus hauts » responsables. À ce sujet, la volonté politique exprimée par le Président en matière de sanction des auteurs de crimes graves doit se traduire en engagements concrets.

L’ÉTAT CONGOLAIS CIVILEMENT RESPONSABLE

Ce procès a duré deux mois, au cours desquels l’accusation et les parties civiles se sont employés à convaincre les trois juges militaires que les atrocités de viols, meurtres, tortures, esclavage sexuel, privation de liberté, pillage et destruction de biens commises contre les populations civiles, entre février et aout 2018, à Shabunda et Mwenga étaient bien des actes « systématiques et généralisés » constitutifs de crimes contre l’humanité. Fréderic Masudi Alimasi dit « Koko di koko » a été condamné à la perpétuité avec circonstances aggravantes pour avoir été « le coordonnateur des attaques contre les civiles dans les villages de Shabunda et Mwenga ». Les deux acquittés l’ont été, parce que d’après les juges, « ils n’ont été retrouvés dans les faits et aucune des victimes ne les a cités ni à Shabunda, moins encore à Mwenga ».

Les juges ont estimé l’Etat congolais civilement responsable pour avoir failli à sa mission de protéger les civils. L’Etat a ainsi été condamné, solidairement avec les coupables, à verser des dommages et intérêts à 307 victimes constituées en parties civiles. Ce n’est pas totalement une première au Congo, mais cela n’avait pas été le cas lors des précédents procès au Sud-Kivu. Le montant de réparation n’est pas identique pour toutes les victimes. Le tribunal a estimé qu’« elles n’ont pas toutes subi les mêmes préjudices ». Le président du tribunal les a invitées à s’adresser au greffe pour prendre connaissance des chiffres alloués à chacune. Pour Me Charles Cikura, coordonnateur des parties civiles, ce verdict témoigne que « la justice peut bien fonctionner si on lui alloue des moyens, comme cela a été le cas, pour écouter les victimes ».