Commission vérité des Seychelles : insaisissable vérité sur les morts du coup d'État

Pourquoi les deux assassinats du 5 juin 1977, le jour du coup d'État de France-Albert René, n'ont-ils pas fait l'objet d'une enquête et de poursuites ? Et pourquoi les familles n'ont- elles jamais été indemnisées par le Fonds national ? Le 14 février, la Commission Vérité, Réconciliation et Unité Nationale des Seychelles a demandé des éclaircissements au procureur général du pays, Frank Ally. Et de nombreux mystères demeurent.

Commission vérité des Seychelles : insaisissable vérité sur les morts du coup d'État
Frank Ally, procureur général des Seychelles, est entendu devant la Commission vérité, réconciliation et d'unité nationale des Seychelles (TRNUC) le 13 février 2020. © Seychelles Broadcasting Corporation
4 min 18Temps de lecture approximatif

Le coup d'État du 5 juin 1977 aux Seychelles s’est réalisé « presque sans effusion de sang », écrit, en anglais, Wikipedia. C'est à cause de ce « presque » que la Commission vérité, réconciliation et d'unité nationale des Seychelles (TRNUC) a voulu interroger l'actuel procureur général du pays, Frank Ally, sur deux des décès survenus ce même jour.

Les faits sont établis. Davidson « Son » Chang Him a été tué par balle dans le dos le jour du coup d'État, dans le commissariat central de la capitale Victoria, où il s'était présenté après avoir appris que la police le recherchait. Le même jour, Berard Jeannie, un policier qui était de service à l'armurerie du commissariat du Mont Fleuri, a été tué lorsque les auteurs du coup d'État l’ont pris d'assaut pour y voler des armes.

Les deux familles ont porté plainte devant la Commission vérité – Dorothy Chan-Him, les enfants de Davidson Chan-Him, et Roch Jeannie, le frère de Bérard Jeannie. Ils ont déclaré qu'aucune enquête n'a jamais été menée et qu'aucune des deux familles n'a reçu d'aide d'un fonds spécial créé après le coup d'État – baptisé « Fonds mémorial de la libération ».

Des enquêtes infructueuses

Il a été demandé au procureur général Ally de préciser à la TRNUC si quelqu'un avait été poursuivi pour ces meurtres. « Je ne suis pas en mesure de dire s'il y a eu une enquête dans ces deux cas », déclare d’emblée Ally à la Commission. Avant 1982, les forces de police pouvaient, tout comme le procureur général, déclencher des poursuites dans certaines affaires pénales en vertu du code pénal suite à l’ouverture d'une enquête, précise-t-il. « Toutefois, un crime de cette nature - où deux personnes ont été tuées - aurait été renvoyé au bureau du procureur général pour des poursuites », ajoute-t-il. « Il faut noter qu'au moment de l'incident, il n'y avait pas de système d’enregistrement des dossiers. » Sa recherche des deux dossiers a été infructueuse, assure-t-il. Ally n'a pas non plus été d'une grande aide pour identifier qui était le procureur général en 1977. Il n'a pu s'en souvenir.

Aucune trace non plus au Fonds de réparations

Il a ensuite été interrogé sur le Fonds mémorial de la libération, créé peu après le coup d'État pour aider les familles des personnes tuées le 5 juin 1977. Ce Fonds a été créé par l'ancien président René, par décret présidentiel en date d’octobre 1977. « A l'époque, l'Assemblée nationale ne pouvait plus adopter de lois. En conséquence, tous les pouvoirs législatifs étaient entre les mains du président de la République », a déclaré Ally. L'objectif du décret était en effet, selon lui, de « pourvoir au maintien, à l'éducation, au bénéfice ou à l'avancement des personnes qui étaient entièrement ou substantiellement [soutenues] par les trois personnes qui sont mortes le jour de la libération », à savoir Bérard Jeannie, Davidson Chang Him et Francis Rachel, un membre du coup d'État tué par balle en ricochet.

Le Fonds était géré par un conseil d'administration. Lors de son témoignage devant la TRNUC en septembre dernier, l'ancien chef de la police des Seychelles, le brigadier Leopold Payet, a indiqué que les trois membres de ce conseil d'administration étaient alors l'ancien président James Michel, l'ancien gouverneur de la Banque centrale Francis Chang Leng, et lui-même. Il a informé la commission que le décret a été modifié en 1978 pour inclure un autre nom, celui de Freddy Lalande, un autre défunt dont les personnes à charge devaient être assistées par le Fonds. Ce nom a ensuite été étendu aux familles des militaires.

Ally n'a pas pu confirmer si les proches dont avaient la charge les trois personnes décédées ont été effectivement soutenues financièrement, car aucun document n'a été trouvé à ce sujet. « Je pense que c'est l'occasion, pour la Commission vérité, de recommander dans son rapport au Président que l'État fournisse une réparation à ces familles. C'est l'un de vos rôles, d'accorder des réparations sur la base des preuves recueillies », a-t-il déclaré.

Les violations des droits humains

Après l'indépendance des Seychelles de la Grande-Bretagne en 1976, l’île disposait d’une Déclaration des droits et d’un chapitre sur les droits humains dans sa Constitution, a ajouté Ally. Mais en 1979, avec la promulgation de la Seconde République, la Déclaration des droits a été supprimée. « Après le coup d'État, le chapitre relatif aux droits de l'homme a été suspendu, mais il y a eu un moment pendant le coup d'État où le chapitre sur les droits de l'homme n'a pas été suspendu », a expliqué Ally. « Il a été pleinement opérationnel, bien que pendant une courte période. »

Ally s’est félicité de l'approche de la Commission visant à questionner le gouvernement sur ce qui s'est passé après le coup d'État, cela serait en soi une tâche difficile puisque les violations ont eu lieu il y a longtemps. « Beaucoup de mesures prises par le gouvernement à l'époque l'ont été en vertu d'une loi qui existait. La loi était-elle juste ou non ? Était-ce une violation des droits de l'homme ou non à l'époque ? Il peut y avoir eu des situations où des abus ont été commis même si la loi ne permettait pas de telles actions », a déclaré Ally.

Concernant la loi sur la vérité, la réconciliation et l'unité nationale de 2018, Ally estime « que cette loi est claire et sans ambiguïté. La façon dont la loi est rédigée est de considérer les violations des droits de l'homme et lorsque nous parlons des droits de l'homme, la TRNUC devrait les considérer comme ils sont – des droits aliénables ». « Mon point de vue, a-t-il poursuivi, est que, selon la manière dont la loi a été rédigée, toute personne qui s'estime victime d'une violation peut porter plainte. Que ce soit en vertu de la loi de 1977 ou de 1978, votre droit à refuser de faire certaines choses a été restreint », a conclu M. Ally.