Stanisic et Simatovic : verdict resserré dans le procès le plus long du tribunal de l'Onu

Le procès de la plus longue affaire yougoslave en cours devant le tribunal de l'Onu à La Haye s'est terminé mercredi 30 juin par un verdict resserré à des crimes commis dans une seule ville de Bosnie et par des peines de 12 ans pour l'ancien chef de la sécurité de l'État serbe et son subordonné. Alors que la défense a annoncé son intention de faire appel, l'accusation a déclaré envisager la possibilité de le faire.

Jovica Stanisic et Franko Simatovic devant le tribunal de l'Onu pour l'ex-Yougoslavie.
L'ancien chef de la sécurité de l'État serbe, Jovica Stanisic, et son subordonné Franko Simatovic, ont été condamnés à 12 ans de prison, hier mercredi 30 juin, au terme d'un second procès devant le tribunal de l'Onu pour l'ex-Yougoslavie. © Piroschka van de Wouw / ANP / AFP
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Dans un résumé de 45 minutes du jugement lu à l'audience mercredi 30 juin, les juges ont condamné l'ancien chef de la sécurité de l'État serbe, Jovica Stanisic, et son subordonné Franko « Frenki » Simatovic, à 12 ans de prison. Ils ont été reconnus coupables de cinq chefs d'accusation pour avoir « aidé et encouragé la commission de crimes à Bosanski Samac », une ville située au Nord de la Bosnie-Herzégovine. Les deux hommes n'ont pas été tenus responsables des crimes reprochés par le procureur dans quatre autres municipalités de Bosnie et dans plusieurs villes et villages de Croatie.

C’est la première fois que des représentants officiels de l'État serbe sont reconnus coupables de crimes de guerre commis en Bosnie, pendant les conflits des années 1990 qui ont suivi l'effondrement de la Yougoslavie. Mais les juges n'ont pas suivi la thèse de l'accusation, qui présentait Stanisic et Simatovic comme des marionnettistes tirant les ficelles d'une multitude d'unités paramilitaires - dont certaines des milices serbes les plus notoires ayant opéré en Bosnie et en Croatie entre 1991 et 1995, les Scorpions et les Tigres.

Les juges de l'Onu ont conclu à l'existence d'une entreprise criminelle commune visant à chasser la majorité de la population non serbe des régions de Bosnie et de Croatie revendiquées par les Serbes. Ils ont aussi estimé que l'objectif de l'entreprise criminelle était « partagé par certains hauts responsables politiques, militaires et policiers de Serbie ». Et qu'il existait un lien entre le régime du président serbe de l'époque, Slobodan Milosevic, et les campagnes de nettoyage ethnique menées sur le terrain en Bosnie.

Milosevic lui-même est mort dans une cellule des Nations unies avant que les juges ne puissent rendre un jugement sur son rôle présumé dans la guerre de 1991-1995 en Croatie, la guerre de 1992-1995 en Bosnie et le conflit du Kosovo de 1998-1999.

Aucune autorité sur les tueurs, mais une « assistance pratique »

Cependant, en ce qui concerne Stanisic et Simatovic, les juges ont déclaré qu'il ne pouvait être établi au-delà du doute raisonnable qu'ils faisaient partie de cette entreprise criminelle commune. Les juges ne les ont pas condamnés pour avoir financé et organisé diverses unités paramilitaires opérant en Bosnie et en Croatie.

En fin de compte, les seules unités dont les crimes pouvaient être reliés à eux étaient celles créées par l'État, connues sous les noms d’« hommes de Frenki », de « Bérets rouges » ou simplement de « l'Unité ». Les membres de ces unités ont entraîné un groupe de dix-huit hommes de la ville de Bosanski Samac, dans le nord-est de la Bosnie, à la frontière avec la Croatie. En 1992, lorsque les Serbes ont pris le contrôle de Bosanski Samac, ces hommes ont tué, torturé et violé des musulmans et des Croates de Bosnie. Bien que les juges aient déclaré qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour affirmer que Stanisic et Simatovic avaient autorité sur eux ou leur donnaient des instructions pendant qu'ils commettaient les crimes, ils ont estimé que leur "assistance pratique" – du fait de la formation de ces hommes - avait eu un "effet substantiel" sur les crimes.

Un « compromis cynique », pour la défense

"La chambre de première instance a rendu une décision qui laisse absolument tout le monde insatisfait", a estimé Iva Vukusic, historienne à l'Université d'Utrecht, aux Pays-Bas, spécialiste des paramilitaires serbes pendant les guerres des Balkans.

L'accusation, de son côté, a déclaré qu'elle lirait attentivement le verdict pour voir s'il y a matière à appel, notamment en ce qui concerne les charges que les juges n'ont pas considérées comme prouvées au-delà de tout doute raisonnable. Le procureur Serge Brammertz a néanmoins déclaré que ces condamnations constituaient un "pas en avant" dans la recherche de la responsabilité des crimes commis en ex-Yougoslavie. "En tant que hauts fonctionnaires des services de sécurité de la République de Serbie, Stanisic et Simatovic ont contribué à la commission de crimes par des forces paramilitaires et d'autres groupes armés dans le cadre de campagnes de nettoyage ethnique contre les non-Serbes", a-t-il souligné dans un communiqué.

L'avocat de Stanisic, Wayne Jordash, a annoncé qu'il ferait appel et a critiqué la condamnation. "Ils n'ont trouvé qu'un seul incident dans une seule municipalité et les preuves en sont faibles", a-t-il déclaré aux journalistes en sortant du tribunal. "Pour moi, cela ressemble à un compromis cynique selon lequel il faut trouver un moyen de le condamner (Stanisic) pour justifier pourquoi ils ont mis un homme en procès pendant dix-huit ans".

La plus longue affaire yougoslave

Le procès contre ces deux hommes est le plus long procès de crimes de guerre yougoslave devant les juges de l'Onu. Stanisic et Simatovic ont été inculpés et arrêtés pour la première fois en 2003 et ont été jugés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

En 2013, ils ont été acquittés. Les juges ont décidé que les crimes reprochés dans l'acte d'accusation ont bien eu lieu. Cependant, ils ont déclaré que Stanisic et Simatovic ne pouvaient pas en être tenus légalement responsables, car il n'y avait aucune preuve que les ordres qu'ils ont donnés étaient "spécifiquement destinés" à aider à la commission des crimes. En appel en 2015, les juges ont rejeté ce raisonnement. Au lieu de rendre leur propre décision, ils ont ordonné la tenue d'un nouveau procès, alors que le TPIY fermait ses portes.

Le nouveau procès s'est ouvert devant l'institution qui a succédé au TPIY, le Mécanisme résiduel. Depuis près de quatre ans, il se déroule avec de nombreuses pauses. Stanisic et Simatovic ont été largement absents, ayant bénéficié d'une libération provisoire et d'une dispense de présence pour la plupart des procédures. Si les deux hommes étaient présents au tribunal mercredi, leur réaction face à leur condamnation n'était pas visible derrière les masques qu'ils portaient au tribunal dans le cadre des mesures de protection anti-Corona virus.

Les deux hommes ont passé un temps considérable en détention. Quelque cinq ans pour Stanisic et huit ans pour Simatovic. En raison de la coutume du tribunal de libérer les condamnés lorsqu'ils ont purgé les deux tiers de leur peine, Simatovic devrait être libéré prochainement. Stanisic devra peut-être rester en prison trois ans de plus, mais il a déjà été libéré pour raisons de santé et pourrait présenter une demande similaire.

La violence externalisée des paramilitaires 

Dans le verdict, il est évident que les juges ne lient Stanisic et Simatovic qu'à leurs propres unités de police secrète, mais n'ont pas estimé qu'ils pouvaient être tenus pour responsables des crimes commis par d'autres groupes paramilitaires sur le terrain en Bosnie.

Pour l’historienne Vukusic, le procès et la condamnation ont mis en évidence les difficultés d'un dossier basé sur les actes des paramilitaires qui opèrent de part et d'autre d'une frontière et sont des acteurs apparemment indépendants. C'est un schéma que l'on retrouve dans de nombreux conflits aujourd'hui et qui générera probablement les mêmes difficultés pour les procureurs si ces conflits se retrouvent un jour devant un tribunal international.

"Il est en fait très difficile d'obtenir des condamnations pour des crimes lorsqu'ils sont liés à des unités lorsqu'il n'y a pas de chaîne de commandement et que c'est un peu flou parce qu'ils se trouvent officiellement sur un autre territoire", estime-t-elle. Selon Vukusic, cette tactique a été utilisée par la Serbie pendant les guerres des années 1990. "Vous créez un déni plausible, cette idée que vous sous-traitez la violence à des acteurs qui sont apparemment indépendants afin de rester à l'écart et de dire : 'nous n'avons rien à voir avec cela'. C'est utile pour les États et tant qu'ils s'en tireront parce qu'ils externalisent cette violence, je pense que les États continueront à le faire", dit-elle.

Le jugement de Stanisic et Simatovic est l'un des derniers des guerres qui ont déchiré la Yougoslavie après la chute du communisme, qui tombe après celui de l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie Ratko Mladic, dont la condamnation à perpétuité pour génocide a été confirmée au début du mois de juin.