Procès syrien en Allemagne : "Raslan avait peur"

Alors que le premier procès en Europe pour des crimes de l’État syrien touche à sa fin, c'est au tour de la défense de montrer le principal accusé, Anwar Raslan, sous un jour différent. Elle a présenté un homme dépourvu d'autorité réelle, sympathisant de la révolution dès le début, et aidant les prisonniers quand il le pouvait - jusqu'à ce qu'il puisse faire défection. Un verdict est attendu avant la fin de l'année.

Anwar Raslan dans le box des accusés à Coblence, en Allemagne (procès Al-Khatib)
La condamnation d'Anwar Raslan (en photo) ce jeudi 13 janvier par le tribunal de Coblence en Allemagne, résonne comme un symbole. C'est la partie visible d’un archipel d’enquêtes, lancées en Europe, pour juger des crimes du régime de Bashar el-Assad en Syrie. © Thomas Lohnes / Pool / AFP
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Un an et demi après son ouverture, le procès de Coblence consacre ses dernières pages à la défense de l'accusé. L'ancien officier de renseignement syrien Anwar Raslan et ses avocats ont appelé des témoins qui pourraient parler en sa faveur. Ils veulent prouver, d'une part, qu'il n'avait aucune autorité au sein de la section Al-Khatib à Damas, où il dirigeait les enquêtes et, d'autre part, qu'il a sympathisé avec le soulèvement et a aidé des prisonniers à être libérés.

L'autoportrait que Raslan et ses avocats de la défense présentent ressemble à ceci : un enquêteur qui croyait faire du bon travail mais n'était pas d'accord avec la façon dont le régime traitait la population depuis 2011 ; un musulman sunnite qui était observé de près par ses chefs alaouites, risquant sa vie au moindre faux pas ; un officier qui a néanmoins aidé autant de prisonniers qu'il le pouvait - au point de perdre la confiance de ses supérieurs et d'être maintenu à son poste sans aucun de ses pouvoirs ; un père de famille qui a tenté de faire défection aux premiers jours du soulèvement syrien, mais qui a dû attendre pour mettre sa femme et ses enfants en sécurité.

Au cours de ces dernières semaines, après 99 jours de procès, la défense tente de dépeindre une version des événements dans laquelle Raslan n'est pas le colonel des services secrets de haut rang responsable de 58 meurtres, 4 000 cas de torture et plusieurs cas de violence sexuelle, mais plutôt un homme coincé dans une position où il a essayé de faire le bien, tout en luttant contre la perte de son autorité.

Aider les prisonniers quand c’était possible

La première ligne de défense, comme Raslan l'a lui-même déclaré au cours du premier mois du procès, est qu'il a été dépouillé de toute autorité, après que ses supérieurs ont commencé à douter de sa loyauté envers le régime. Dans ce scénario, Raslan n'aurait pas pu être responsable des crimes, même si son rang et sa position suggèrent qu'il l'était. De fait, il n'est pas accusé d'avoir torturé ou tué quelqu'un de ses propres mains, mais d'être responsable, en tant que superviseur direct, de ce qui se passait dans la section 251 des services secrets à Damas, pendant les interrogatoires et dans la prison souterraine.

La deuxième ligne de défense repose sur la personnalité de l'accusé. La défense a demandé à plusieurs témoins de venir attester que Raslan avait soutenu la révolution, qu'il aurait voulu faire défection beaucoup plus tôt et qu'il avait aidé des détenus en les traitant bien et en accélérant leur libération. En mai 2020, Raslan a fait lire à ses avocats qu'"entre mars et juin 2011, j'ai aidé les prisonniers quand je le pouvais". Il a demandé à la cour de faire en sorte que "ceux qui ont été témoins de mon soutien aux manifestations et qui connaissent mon rôle soient appelés à témoigner", fournissant une liste de 25 noms.

Un membre de l'armée comme témoin de moralité

L'un des noms figurant sur cette liste était celui du cousin et gendre de l'accusé. Il a témoigné en juillet dernier, avant les vacances d'été, que Raslan avait été accusé dès avril 2011 de sympathiser avec les manifestants. "Il m'a dit qu'il se sentait observé à chaque instant et que son téléphone était constamment sous surveillance", a déclaré le témoin. "Il était considéré comme une cellule dormante, c'est pourquoi son travail avait été réduit et ses responsabilités lui avaient été retirées", a-t-il ajouté. Ce parent de Raslan a lu l'ensemble de son témoignage dans un arabe sophistiqué, à partir d’une feuille de papier qu'il avait apportée au tribunal et il a eu du mal à répondre aux questions qui dépassaient ses notes.

Un autre témoin cité par Raslan comme quelqu'un qui "sait ce que je pensais vraiment de la révolution" était un pilote de haut rang de l'armée, issu d'une famille influente d'officiers militaires en Syrie. "Je connais personnellement Bachar el-Assad", a-t-il déclaré à la cour lors de son témoignage le mois dernier. Le témoin a fait défection de l'armée à l'été 2012 et a aidé Raslan à fuir six mois plus tard. Il est allé le chercher à la frontière jordanienne et a préparé un appartement pour lui et sa famille. Pendant le trajet en voiture depuis la ville frontalière d'al-Mafraq, qui a duré environ une heure et demie, ils ont parlé. "Il a dit qu'il n'était pas d'accord avec le régime depuis le tout début. Il a dit qu'il y avait beaucoup de pression sur lui et qu'il était surveillé. Il a dit qu'il y avait même des officiers qui le surveillaient devant sa maison", s'est souvenu le témoin. Lorsqu'il a revu Raslan un peu plus tard, "il a dit qu'il avait très peur d'être tué. Il savait pour qui il avait travaillé et de quoi ils étaient capables.”

Un officier et un romancier

Le même témoin a expliqué que, comme tout officier ayant fait défection, Raslan a été interrogé par les services secrets jordaniens à son arrivée. Plus tard, le prévenu les a rencontrés à nouveau pour planifier un itinéraire sûr vers la Jordanie pour les réfugiés civils de Syrie et leur a fourni certains documents qu'il avait apportés avec lui. Il s'agit de la première mention de documents internes sortis du pays par Raslan et remis à des services de renseignement étrangers. Les observateurs et le tribunal se sont intéressés à ce détail afin de déterminer quelles étaient les convictions politiques de Raslan et s'il avait réellement changé de camp.

Un autre témoin de la défense était un officier de l'armée de l'air devenu romancier, qui a rencontré Raslan pendant sa détention à Al-Khatib, en 2011. Dans sa déclaration en mai, Raslan l'avait cité comme l'un des prisonniers qu'il avait aidés. Le témoin a déclaré que Raslan l'avait bien traité pendant l'interrogatoire et lui avait offert du thé et des cigarettes Kent blanches. Ils avaient discuté de littérature et du nouveau roman du témoin, que l'accusé semblait avoir lu, bien qu'il soit interdit en Syrie. "Il a dit qu'il avait toujours rêvé de devenir un auteur, mais que la vie l'avait emmené ailleurs", s'est souvenu le témoin. Peu de temps après leur conversation, le romancier a été libéré. Lorsqu'ils se sont revus trois ans plus tard en Jordanie, le romancier a déclaré avoir dit à Raslan "plus d'une fois" qu'il devrait rendre publique ce qu’il savait de ce qui s'était passé au sein des services secrets. Raslan a refusé. "Il a dit qu'il n'aimait pas être dans les médias et qu'un jour il écrirait un livre sur tout ce qui s'était passé", a déclaré le témoin.

Un gros effort pour une faible valeur probante

Au cours du procès, les avocats de Raslan ont également interrogé à plusieurs reprises de nombreux témoins sur les structures de pouvoir au sein des services secrets syriens, dont notamment d’anciens membres. Ils ont tenté de souligner que ce pouvoir était plutôt basé sur l'ethnicité que sur le grade, et de mettre en évidence les relations entre les officiers sunnites et alaouites. Ils ont voulu savoir s'il aurait été possible pour quelqu'un dans la position de Raslan de simplement quitter son emploi, s'il le souhaitait, dans le but de montrer à quel point il était dangereux pour lui de faire défection.

La défense a demandé que d'autres témoins viennent témoigner de la perte d'autorité que leur client aurait subie au sein de la section. Certains d'entre eux ont été refusés par le tribunal, qui a estimé que la valeur probante de leurs témoignages serait trop faible par rapport à l'effort nécessaire pour les faire venir. Pour les témoins potentiels vivant hors de l'Union européenne, en Turquie ou en Égypte, il faut parfois des mois pour les convoquer par le biais de demandes officielles. Le tribunal a également rejeté certaines des requêtes de la défense, car elles ne contenaient pas d'informations spécifiques sur le moment et le lieu où le témoin demandé avait rencontré Raslan, ou sur la manière dont il aurait eu connaissance de ses actions.

De son côté, l'accusation a fait valoir à plusieurs reprises que ni les actions de l'accusé après sa défection ni son attitude à l'égard du soulèvement ne réduisaient sa responsabilité dans les crimes dont il est accusé. "Un crime reste intentionnel, même si le résultat attendu est indésirable", ont-ils déclaré dans une déclaration au sujet de l'un des témoins demandés par la défense. Quant aux prisonniers qu'il a pu faire libérer, ils ont déclaré que cela ne pouvait que prouver sa volonté d'aider dans des cas individuels. Certaines des requêtes de la défense étant toujours en suspens, la date du verdict reste incertaine, mais elle devrait intervenir avant la fin de l'année.

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