Le châtiment des « sans-papiers » du TPIR

Six mois viennent de s’écouler depuis que les personnes acquittées ou libérées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ont été transférées par l’Onu au Niger pour y résider librement et en permanence. Ils s’y trouvent toujours, privés de papiers et de liberté, confinés dans une maison à Niamey encerclée par la police, dans l’inconnue sur leur sort.

Illustration d'une villa perdue dans le désert. Un grillage barbelé au premier plan avec un panneau affichant un logo de l'ONU (TPIR).
Depuis six mois, huit anciens accusés du Tribunal de l'Onu pour le Rwanda sont coincés dans une résidence gardée par la police, à Niamey, au Niger. © JusticeInfo.net
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Depuis six mois, c’est l’impasse. Le 5 décembre dernier, quatre acquittés de l’ex-Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) – Prosper Mugiraneza, Protais Zigiranyirazo, François-Xavier Nzuwonemeye et André Ntagerura – ainsi que quatre condamnés libérés après exécution de leurs peines – Anatole Nsengiyumva, Tharcisse Muvunyi, Alphonse Nteziryayo et Innocent Sagahutu – avaient quitté dans la précipitation leur résidence à Arusha, en Tanzanie, pour refaire leur vie à Niamey, au Niger. Après de longues années dans l’attente d’un pays d’accueil, l’Onu leur avait enfin trouvé un lieu de refuge permanent.

Puis tout avait dérapé. Fin décembre, les autorités nigériennes avaient retourné leur veste et décrété l’expulsion immédiate de ces réfugiés, déclaré nul et non avenu l’accord signé avec l’Onu un mois auparavant, avant d’accepter de surseoir provisoirement à leur décision. La Tanzanie, de son côté, avait exprimé son refus de reprendre ses anciens hôtes. Depuis, la situation est gelée.

Privés de papiers depuis le 25 décembre 2021, surveillés par un peloton de policiers qui a encerclé leur résidence, aucun des huit Rwandais n’a plus mis le pied dehors, sauf en cas d’urgence médicale. « Un restaurateur vient nous vendre de la nourriture, tandis qu’un garçon passe tous les matins pour prendre les commissions à faire en ville », raconte Innocent Sagahutu, contacté par téléphone. « Si je devais choisir, c’est l’UNDF [Centre de détention des Nations unies à Arusha] que je choisirais sans hésiter » ajoute-t-il. « Depuis début mars, on a accordé la permission au Comité international de la Croix-rouge (CICR), et il nous rend visite comme il le fait à tous les prisonniers du monde » dit l’ancien capitaine de l’armée rwandaise, aujourd’hui âgé de 60 ans, qui a purgé 15 ans de prison à Arusha pour son rôle dans le génocide au Rwanda, en 1994. Lui-même vient de bénéficier de l’assistance du CICR. « J’étais gravement malade, on m’a amené à l’hôpital national, c’est là que j’ai appris que les frais seront supportés par le CICR. Quand les docteurs nous prescrivent des médicaments, le CICR nous les achète et nous les apporte dans notre prison ici. »

Le rejet du Niger

« Prisonniers », « prison » : les « sans-papiers » de Niamey ont naturellement (ré)adopté le vocabulaire carcéral. Forts de ce qui leur est arrivé en décembre, leur souhait est d’être évacués le plus tôt possible vers un pays tiers. Plusieurs de leurs requêtes au Mécanisme de l’Onu, qui a pris la suite du TPIR après sa fermeture officielle en 2015, vont dans ce sens.

Mais évacués vers où ? À Arusha, le greffe de l’Onu refuse de répondre sur l’évolution des négociations qu’il serait en train de mener, avec le Niger ou avec tout autre pays potentiel de réinstallation. « C’est qu’il n’a rien à vous dire », réplique l’un des prisonniers de Niamey, qui requiert l’anonymat. « Soit il n’est pas à la hauteur, soit il est vendu, ou les deux. Il dit qu’il continue de convaincre le Niger de changer d’avis et de revenir à l’Accord [de fin 2021 sur l’accueil des anciens accusés du TPIR]. Et que si le Niger persistait dans son refus, il irait trouver un autre point de chute pour nous. Mais il ne dit jamais ce qu’il fait » affirme-t-il, manifestement très découragé.

« Outre pour des raisons diplomatiques dont le gouvernement nigérien est en droit de garder le silence, il a également été donné de constater que la présence des requérants sur le territoire nigérien constitue une menace et un trouble à l’ordre public » a encore insisté le gouvernement nigérien, le 14 janvier, par le biais d’un cabinet d’avocats de Niamey commis par l’Agence judiciaire d’État en réponse au juge de l’Onu qui avait enjoint au Niger de suspendre son décret d’expulsion.

Au nom du gouvernement, Me Aïssatou Zada avait fustigé l’ordonnance du Mécanisme de l’Onu, la qualifiant d’« inopportune ». Selon Niamey, tout litige découlant de l’accord dit de réinstallation entre le Niger et les Nations unies doit être réglé « par négociation ou par un moyen mutuellement convenu ». À ses yeux, le Mécanisme est incompétent à juger de l’affaire. Tout en restant muet sur le fait que sa décision unilatérale d’expulsion puisse être une violation de l’accord signé.

Les ordonnances répétées du juge et la saisine par le président du Mécanisme du Conseil de sécurité l’Onu sont restées vaines.

Le refus de la Tanzanie

Face à ce bras de fer avec le Niger et confronté à de multiples cris d’alarme et requêtes en évacuation immédiate, le juge s’est tourné vers la Tanzanie. Il a ordonné au « greffier de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires et les dispositions qui s’imposent pour assurer le retour à titre temporaire des personnes réinstallées à la division d’Arusha jusqu’à leur transfert dans un autre État ».

Hélas ! Le gouvernement tanzanien a rétorqué que son obligation de faciliter le séjour temporaire des personnes libérées ou acquittées, conformément à l’accord de siège entre ce pays et l’Onu, avait pris fin lors de leur transfert au Niger. Pas question de les faire revenir.

Devant l’impasse, le juge du Mécanisme a ordonné au greffier d’« intensifier ses efforts et de dialoguer activement avec le Niger et d’autres États de réinstallation potentiels afin de trouver une solution acceptable qui garantirait le respect des droits fondamentaux des personnes réinstallées » et a demandé au Niger de « se conformer à L’État de droit en ce qui concerne la situation des personnes réinstallées et veiller à leur sécurité et à leur bien-être jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée ».

Échec judiciaire, cul-de-sac diplomatique

Selon le juge, « pour l’heure, toutes les mesures judiciaires disponibles et appropriées ont été offertes aux personnes réinstallées, et la résolution de cette crise procède principalement des efforts politiques, diplomatiques et administratifs entrepris par le Greffier sous la supervision du Président et avec le renvoi de cette question par le Président au Conseil de sécurité » de l’Onu.

Pour les prisonniers de Niamey, il était nécessaire d’informer le Conseil de sécurité de l’Onu du manquement du Niger à ses obligations, dans la mesure où celui-ci continue de violer l’accord relatif à leur réinstallation. Ils souhaitaient aussi une nouvelle ordonnance enjoignant à la Tanzanie de faciliter le retour des Rwandais sur son territoire, et la tenue d’une audience devant le Mécanisme à La Haye ou, à titre subsidiaire, à Arusha, en leur présence. Mais le 27 mai, la Chambre d’appel du Mécanisme a rejeté leur demande.

« C’est une profonde déception » a dit Me Peter Robinson, qui défend les intérêts de Nzuwonemeye. « Nous avons donné aux juges un moyen de secourir ces hommes en les amenant à La Haye ou à Arusha pour une audience orale sur l’appel ou une conférence de mise en état. Les accords de siège du [Mécanisme] avec les Pays-Bas et la Tanzanie les obligent à autoriser des personnes sur leur territoire lorsque leur présence au siège du Mécanisme est requise. Mais la Chambre d’appel a rejeté notre appel, jugeant que le devoir du Mécanisme d’assurer leur bien-être ne s’étendait qu’à encourager une solution diplomatique. »

Exit Bicamumpaka

Les avocats de la défense travaillent sur trois fronts, explique l’Américain. Premièrement, le front judiciaire pour persuader les juges d’utiliser le pouvoir dont ils disposent pour secourir ces hommes. Ce front semble épuisé. Deuxièmement, le front diplomatique pour utiliser « nos propres contacts avec divers pays pour les persuader de travailler avec le greffier afin d’accepter nos clients ; (…) nos clients sont prêts à aller n’importe où sauf au Rwanda ». Et troisièmement, le front de la justice nigérienne, en travaillant avec les avocats de leurs clients à Niamey pour obtenir, dans l’attente, le retrait des policiers et mettre fin à leur assignation à résidence.

Mais la prudence est de rigueur. « Franchement, nous avons peur de pousser trop fort le Niger. Nos clients craignent que si nous le faisons, le gouvernement pourrait essayer de les expulser vers le Rwanda » avoue Me Robinson, en regrettant ce qu’il appelle « une injustice énorme » pour ces hommes. « Mon client a été acquitté et reste prisonnier huit ans plus tard. C’est inacceptable ! » se plaint-il.

Des neuf Rwandais à qui il avait été offert en décembre dernier de partir au Niger, un seul s’y était fermement opposé, Jérôme Bicamumpaka. Malade, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Rwanda pendant le génocide, acquitté en 2011 après plus de douze ans de prison, est mort dans un hôpital au Kenya, le 19 mai, à l’âge de 64 ans. Le Canada, où sa famille a obtenu la citoyenneté, avait refusé de l’accueillir sur son sol. Le 28 mai, il a accepté de recevoir sa dépouille.

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