Dossier spécial « L’heure de la vérité en Gambie »

Gambie : l’argent de Jammeh retourne à ses victimes

Un premier versement d’environ 1 million de dollars au nouveau Fonds de réparation de la Commission vérité, réconciliation et réparations a été fait, a annoncé le ministre gambien de la Justice le 7 octobre. L’argent provient des biens de l’ancien président Yahya Jammeh. Mais il reste à définir une politique en matière de réparations.

Gambie : l’argent de Jammeh retourne à ses victimes©Claire BARGELES / AFP
Parquée dans les garages du Palais présidentiel de Gambie, une flotte de voitures de luxe prend la poussière après le départ de Yahya Jammeh. L'ancien président aurait volé l'équivalent du produit intérieur brut annuel de son pays, selon l'Organized Crime and Corruption Reporting Project.
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« Il est devenu de plus en plus évident pour le gouvernement, sur la base des révélations faites à la TRRC [la Commission vérité, réconciliation et réparations de Gambie, Ndlr] au cours de l’année écoulée, que l’ancien président Yahya Jammeh était un pilier central du système de terreur et de violations des droits humains qui se sont produites sous son régime, a déclaré, le 7 octobre, le ministre de la Justice de Gambie. « En conséquence, ajoute Abubacarr Tambadou, le gouvernement estime qu’il est tout à fait approprié et juste que les réparations soient accordées à ses victimes directement à partir de ses richesses et de ses biens. »

Contrairement à la plupart des commissions vérité, la TRRC de Gambie a pour mandat d’accorder et de verser des réparations aux victimes du régime de Yahya Jammeh (1994-2017), sans devoir consulter aucune autorité. Il y a deux mois, elle a créé un Fonds spécial d’indemnisation pour les réparations. Tambadou vient d’annoncer qu’un premier versement de 50 millions de dalasis (plus d’un million de dollars) prélevé sur le produit de la vente des actifs de Jammeh a été effectué, au profit du fonds de réparations de la TRRC. D’autres transferts de fonds pourraient venir s’ajouter par la suite, indique le gouvernement.

Les millions volés de Jammeh

La Gambie est l’un des pays les moins développés du monde, la moitié de sa population vivant avec moins d’un dollar par jour, selon les statistiques officielles. Avec une population de 2 millions d’habitants, le produit intérieur brut de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest s’élevait à un milliard de dollars en 2017, soit l’équivalent de l’argent prétendument volé par Jammeh, selon l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, une plateforme de journalisme d’investigation. Une enquête menée durant deux ans par le gouvernement gambien, a révélé que Jammeh avait volé 362 millions de dollars dans les caisses de l’État. Le rapport de la Commission Janneh a été publié le 13 septembre dernier.

Cette commission a examiné des centaines de documents et interrogé 253 témoins. Elle a établi que Jammeh possède 281 propriétés dans le pays, ainsi que des actifs à l’étranger, y compris une résidence aux États-Unis. Les enquêteurs ont estimé que les biens de l’ancien dirigeant dans son village natal de Kanilai valaient à eux seuls 28,2 millions de dollars. Selon le ministre de la Justice, ses biens seront tous vendus, conformément aux recommandations de la Commission Janneh, et ce processus est en cours. « Nous vendons les actifs de l’ancien président comme la Commission l’a recommandé. Cela ne se fera pas très rapidement. Cela va se produire au fil du temps », a-t-il ajouté.

Gambia's missing $975 million (infographic by OCCRP)
Yahya Jammeh aurait détourné près d'un milliard de dollars selon l'Organized Crime and Corruption Reporting Project. © OCCRP

« Il a fait le mal et c’est par lui que nous traitons le mal »

Lamin Sise, président de la TRRC, a assisté à la cérémonie au cours de laquelle le ministre de la Justice a annoncé le déblocage des fonds. « 50 millions de dalasi est une splendide contribution du gouvernement au fonds de réparation que nous avons établi et annoncé il y a quelques semaines. C’est la première étape vers la réconciliation et la justice », a-t-il déclaré.

Les victimes étaient également représentées à la cérémonie. Sheriff Kijera, président du Centre pour les victimes de violations des droits de l’homme, une organisation créée pour aider les victimes du régime de Jammeh, a déclaré que le versement au fonds d’indemnisation de la TRRC était « une décision historique ». Batch Samba Jallow, victime de torture et de détention illégale en 1995 qui a témoigné devant la TRRC plus tôt cette année, a également perdu son emploi suite à son arrestation et à son exil forcé. Il veut maintenant que sa pension lui soit versée. « La question des réparations se fait attendre depuis longtemps, a-t-il ajouté. « Ils sont lents à aider les victimes. Les gens vieillissent. Certains ont des problèmes de santé. »

Madi Jobarteh, une militante gambienne, salue la décision de payer des réparations à partir des sommes récupérées à Jammeh comme une « grande initiative ». « Ce qui est le plus remarquable avec ce geste, c’est que c’est le chef de terreur Yahya Jammeh qui paie pour ses propres crimes avec l’argent du peuple qu’il a volé. C’est de la justice au vrai sens du terme », dit Jobarteh. « Il a fait le mal et c’est par lui que nous traitons le mal. »

Vers une politique de réparation

Il s’agit de la première contribution importante au fonds de réparations de la TRRC. Jusqu’à présent, la Commission n’avait pas d’argent pour indemniser les victimes. Cependant, elle a pu accorder des traitements médicaux et des bourses d’études à certaines victimes. La Commission travaille actuellement à l’élaboration d’une politique visant à déterminer qui obtiendrait quel montant pour quel crime, a déclaré Baba Galleh Jallow, secrétaire exécutif de la TRRC, à JusticeInfo. « Nous travaillons à l’élaboration de règles visant à déterminer le montant d’argent qui va aux victimes de meurtre, aux victimes de torture et aux victimes d’autres types de violations des droits de la personne. Nous accélérons ce processus afin d’avoir une idée claire de ce que nous devons faire », a déclaré Jallow. « Le montant de l’indemnisation dépendra, dans une large mesure, du nombre de personnes qui auront besoin de réparations. Nous ne savons pas encore combien il y a de victimes. Beaucoup de familles auront besoin d’aide. »

La Commission vérité a débuté ses audiences publiques en janvier de cette année. Jusqu’à présent elle a entendu 128 témoins, victimes et auteurs, dont d’anciens hauts responsables de la junte militaire.