Réfugié politique accueilli par la Suède il y a douze ans, Mahmoud Sweidan, soupçonné de crimes de guerre commis à Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas, en 2012 et 2013, est actuellement jugé à Stockholm. Sera-t-il le prochain sur la liste déjà longue des Syriens condamnés par un tribunal suédois ? Ou bien, comme entend le prouver son avocat, est-il la victime innocente d’une cabale menée par des activistes de l’opposition syrienne ?
Sur 21 jugements prononcés depuis 2006 par des tribunaux suédois dans des cas de crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité, 11 l’ont été pour des actes commis en Syrie – dont 7 durant ces seules trois dernières années qui ont donné lieu à trois acquittements et quatre condamnations. La dernière en date, le 31 juillet, concernait un ancien membre du groupe État islamique, ressortissant suédois d’origine syrienne, condamné à la prison à vie pour avoir participé à l’exécution d’un pilote jordanien brûlé vif en 2014. Un autre procès vient de se terminer devant la cour d’appel de Svea, à Stockholm, contre une femme de 52 ans condamnée en première instance pour génocide et crimes contre l’humanité perpétrés contre des Yézidis en 2015 à Raqqa, en Syrie. Le jugement sera rendu le 11 novembre.
Pour les besoins de ce nouveau procès qui a démarré fin octobre et va durer jusqu’en mars 2026, le tribunal de Solna, dans la banlieue nord-ouest de la capitale suédoise, s’est transporté dans la salle de sécurité numéro 2 du tribunal de Stockholm. La nature du suspect, de l’accusation, des témoins, des parties civiles, a incité le tribunal à un regain de prudence.
Dans le sous-sol du tribunal, la salle est divisée en deux. Le tiers supérieur, sur trois rangées, est réservé au public. Et de l’autre côté d’une vitre renforcée qui coupe la salle en deux, le président et la cour font face au public. Juste devant eux est assis l’accusé, sweatshirt à capuche gris clair, chauve, mais arborant une longue barbe gris-blanc qui lui tombe sur la poitrine. A sa gauche, ses deux avocats. Un peu plus à gauche encore, sur le même rang, l’avocate qui représente la plupart des 13 parties civiles. Sur le côté, à droite du président, les deux procureurs, et parfois, derrière eux, les policiers qui ont mené l’enquête. Un ou deux interprètes se relaient. Pas de fenêtres, un mobilier tout scandinave de bois clair.
Et les crimes du régime el-Assad qui défilent dans cette atmosphère aseptisée.
Accusé d’avoir participé à la répression
Né en 1970 à Yarmouk, un camp créé en 1957 au sud de Damas pour accueillir les réfugiés palestiniens après la guerre arabo-israélienne de 1948, Sweidan est accusé d’avoir participé, en tant que membre ou proche d’une milice palestinienne fidèle au régime Assad, à une fusillade meurtrière survenue le 13 juillet 2012. Lors de cette fusillade, une dizaine de personnes ont trouvé la mort, et plusieurs autres ont été blessées par balle.
Sweidan est également accusé d’avoir participé pendant plusieurs mois à tenir le barrage nord sur la place Al Battikha, à l’extrémité du camp, où, comme l’indique la procureure principale Ulrika Bentelius Egelrud, « grâce à sa bonne connaissance de Yarmouk et de ses habitants, il a participé à l’identification et au contrôle de civils et a ainsi dénoncé des civils aux services de sécurité afin qu’ils soient arrêtés pour déloyauté envers le régime syrien, ce qui a conduit à leur privation de liberté ». A ce barrage, de nombreux Syriens ont été victimes de disparition.
Pendant les premiers jours du procès, les procureurs se relaient pour exposer l’appareil sécuritaire syrien à l’époque de l’ancien président Bachar el-Assad, les méthodes utilisées pour faire régner la terreur sur les opposants ou supposés tels, les conditions d’arrestation, d’incarcération, l’usage banalisé de la violence extrême comme moyen d’obtenir le silence des proches, et l’arsenal de tortures déployées systématiquement sur les détenus. Un cortège d’humiliations, de viols, de sadisme d’où transparait l’insupportable destin de milliers de prisonniers entassés sans pouvoir s’asseoir, dévorés par la maladie, par les insectes, laissés dans leurs excréments, dans une détresse absolue, sans espoir de salut.
« 2012 a été la pire année » en Syrie
Les procureurs citent à l’audience des rapports d’organisations internationales et d’ONG. Parlent des photos rapportées par le photographe syrien connu sous le pseudonyme de César, qui après avoir réalisé pour le compte des services de sécurité syriens des milliers de photos de cadavres de Syriens torturés, est parvenu à les faire passer en France où il vit désormais.
L’accusation détaille également les agissements de la branche 235 des renseignements militaires syriens, encore appelée la Branche palestinienne. Selon Amnesty International, la « Branche Palestine 235 » était responsable entre autres d’arrestations de Palestiniens en Syrie et d’enlèvements et de transferts de Palestiniens du Liban en Syrie.
Les procureurs se relaient pour décrire l’extrême violence utilisées par les services syriens contre les prisonniers. 155.604 personnes emprisonnées depuis le début événements, dont plus de 17.000 auraient été tuées et encore au moins 98.279 seraient encore portées disparues. « 2012 a été la pire année », précise la procureure Egelrud.
Elle décrit enfin le massacre de Tadamon, quartier voisin du camp palestinien, le 16 avril 2013, photos et vidéos à l’appui, la fosse commune où les prisonniers sont amenés les yeux bandés, menottés, jetés sur des pneus et exécutés à la Kalachnikov avant que les hommes de la branche 235 les recouvrent d’autres pneus et de meubles avant d’y mettre le feu. Avec, dit-elle, toujours cette obsession des bourreaux de documenter, de filmer.
« Aucun des cas cités n’est lié à mon client »
Au milieu de la matinée, au troisième et dernier jour de présentation des faits par l’accusation, maitre Sargon de Basso, l’avocat de Mahmoud Sweidan, interrompt la procureure. « Aucun des cas cités dans ces rapports ne peut être lié à mon client. Ces rapports citent-ils certaines des parties civiles de ce procès ? »
« Formellement, non, admet la procureure. C’est la méthode que nous regardons. »
L’avocat reprend : « Vous passez en revue tous les accusations portées contre le régime, et vous les faites reposer sur les épaules de mon client. Ce serait bien de faire la distinction, afin que le jury ne soit pas influencé par les actes du régime quand il devra juger mon client. »
« Sans vouloir minimiser les difficultés liées à l’enquête, commente après l’audience la procureure à Justice Info, il convient de noter que, dans ce type d’affaire, le lieu présumé du crime ne peut être inspecté ni visité, certaines personnes à interroger ne peuvent être jointes et les faits reprochés remontent à relativement longtemps. »
Ingrid Elovsson, l’avocate qui représente les treize parties civiles, ne s’est lors de ces premières audiences exprimée que pour expliquer le contexte juridique d’éventuelles réparations. « Sachant qu’il est impossible de savoir comment un juge syrien aurait jugé et estimé les réparations, surtout quand on connait l’absence de sécurité juridique en Syrie, je me suis donc tournée vers la pratique suédoise », d’où il ressort, précise-t-elle, qu’il reviendra au juge suédois de définir le montant éventuel des dommages et intérêts.
« Mon client ne se trouvait pas en Syrie »
Deux jours plus tard, lorsque c’est son tour de présenter sa version des faits, Me De Basso démonte le dossier point par point.
« Les autorités suédoises ont demandé des informations à des organisations sérieuses, telles que [l’ONG Commission for International Justice & Accountability] CIJA et l’organe des Nations unies IIMP. Or elles ont répondu qu’il n’y avait rien qui confirmait les soupçons pesant sur mon client », affirme-t-il.
« Ceux qui font référence à Mahmoud Sweidan, avance l’avocat, sont des médias militants. Une multitude d’accusations ont été portées contre mon client dans les milieux pro-opposition, mais elles peuvent être rejetées, car mon client ne se trouvait pas en Syrie au moment où il aurait commis des crimes graves dans ce pays. »
« Ce n’est pas l’enquête en soi que nous critiquons, souligne Me de Basso à Justice Info, mais la décision de poursuivre mon client. Toutes les suspicions auraient dû être abandonnées lorsqu’il est apparu clairement que les sources étaient motivées par le militantisme plutôt que par la sécurité juridique. » « Il n’existe aucune preuve objective à l’appui des allégations selon lesquelles mon client aurait commis un crime », martèle l’avocat.
L’audition des parties civiles démarre le 5 novembre.






