La commission de l'Onu sur les crimes en Ukraine "cherchera à identifier les personnes et les entités" responsables

Après un point oral devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies le mois dernier, la Commission d'enquête internationale indépendante a récemment soumis son premier rapport à l'Assemblée générale de l’Onu. Elle a mis en évidence des crimes de guerre commis par les forces russes en Ukraine, notamment des exécutions, actes de torture, violences sexuelles et l'utilisation "d'armes explosives ayant des effets à grande échelle dans des zones peuplées", causant "des dommages et des souffrances immenses aux civils". Jusqu'à présent, ses enquêtes se sont concentrées sur les événements survenus au cours des premiers mois de la guerre, dans quatre régions d'Ukraine, mais elle prévoit désormais de les étendre. Entretien avec le président de la commission, le juge norvégien et ancien président du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Erik Møse, au sujet du rapport et de l'avenir de la commission.

À Marioupol, en Ukraine, une femme porte son enfant dans ses bras dans la rue. Derrière elle, des soldats russes patrouillent. En arrière-plan : des bâtiments civils détruits.
Une femme et son enfant passent devant des soldats russes à Marioupol, au sud-est de l'Ukraine. La commission d'enquête de l'Onu met les victimes civiles au centre de son travail sur les crimes de guerre perpétrés en Ukraine. © Alexander Nemenov / AFP
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JUSTICE INFO : Vous avez dit que, d'après les preuves que la Commission d'enquête sur l'Ukraine a recueillies jusqu'à présent, des crimes de guerre ont été commis par les forces russes. Qu'en est-il des crimes contre l'humanité et du génocide ?

ERIK MØSE : Jusqu'à présent, nous n'avons pas trouvé de preuves établissant ces crimes. Nous avons enquêté sur les quatre zones où les Russes étaient présents fin février et en mars, puis se sont retirés. Notre enquête dans ce rapport est basée sur ce que nous avons trouvé jusqu'à présent dans ces quatre zones pendant cette période.

Mais vous entendez poursuivre et élargir l'enquête, et n'excluez pas la possibilité que des crimes contre l'humanité aient été commis ?

Nous poursuivrons nos enquêtes dans ces quatre régions, tout en les élargissant géographiquement et en abordant d'autres sujets. Ce seront les preuves qui décideront des crimes que nous trouverons, selon notre norme d'établissement des faits.

Vous avez fait le point oralement devant le Conseil des droits de l'homme en septembre, et vous venez de soumettre un rapport écrit à l'Assemblée générale des Nations unies. Attendez-vous quelque chose ou demandez-vous quelque chose à l'Assemblée générale et aux États ?

Il n'y a pas de recommandations générales ou de demandes de la Commission dans son rapport à l'Assemblée générale. Mais nous avons recommandé une meilleure coordination des efforts internationaux et nationaux en termes de justice pénale afin d'améliorer leur efficacité et de prévenir les préjudices aux victimes et aux témoins.

A propos de cette nécessité d'une coordination, en raison du nombre d'acteurs judiciaires impliqués dans la collecte de preuves dans cette guerre, parlez-vous d'un simple échange d'informations ou d'une tentative d'articuler une forme de processus judiciaire ?

Il existe de nombreux acteurs dotés de mandats différents - certains généraux, d'autres spécifiques, certains pénaux, d'autres liés aux questions de droits de l'homme. Comme leurs tâches sont différentes, on ne peut pas vraiment envisager une sorte de coordination au sens strict. Mais dans l'esprit d'échanger des informations et d'être en contact avec d'autres organismes qui sont particulièrement pertinents pour chaque organe, on devrait éviter la perte d'efficacité et la re-traumatisation des victimes et des témoins. Il appartiendra à chaque entité de voir ce qu'elle peut faire, en fonction de ses mandats et de sa méthode.

Et la Commission, avec qui vous coordonnez-vous ?

Nous sommes, par exemple, en contact avec la Cour pénale internationale (CPI) et le Procureur général de l'Ukraine. Nous avons des contacts à intervalles réguliers avec eux lorsque le besoin s'en fait sentir.

L'Ukraine a déjà entamé certains procès. La mission de surveillance des droits de l'homme des Nations unies en Ukraine a récemment publié un rapport qui traite principalement des crimes commis par les Russes, mais qui exprime également certaines inquiétudes quant au droit à un procès équitable en Ukraine. Êtes-vous également inquiet ?

Nous n'avons pas exprimé d'opinion sur la question du droit à un procès équitable dans notre point oral ou dans notre rapport écrit. Mais de telles questions peuvent se poser au fur et à mesure que nous poursuivons nos enquêtes, qui sont un processus continu. D'autres sujets seront également examinés en vue d'une éventuelle inclusion dans notre rapport final, en mars de l'année prochaine.

De manière plus générale, je pense que tout le monde est d'accord pour dire que tout procès doit satisfaire aux exigences d'un procès équitable définies par le droit international, notamment l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 14 du Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques. 

Portrait d'Erik Mose, avec le drapeau des Nations Unies derrière lui
Erik Mose, président de la Commission d'enquête de l'Onu sur les crimes en Ukraine. © UNIS Vienna / Nikoleta Haffar

Voyez-vous un calendrier possible pour les premiers procès de compétence universelle, ou devant la CPI ? Comment voyez-vous cela fonctionner ?

Pour cette commission, il s'agit simplement d'achever son mandat tel que demandé d'ici le mois de mars de l'année prochaine. Dans ce rapport, comme vous le savez, outre l'établissement des faits et la mention des différents crimes ou violations des droits de l'homme, nous chercherons également, dans la mesure du possible, à identifier les personnes et les entités qui ont commis ces actes. La résolution nous demande également de formuler des recommandations générales en matière de responsabilité. Et les options sont nombreuses. Il appartiendra ensuite au Conseil des droits de l'homme d'examiner nos recommandations, que nous n'avons pas encore formulées, et de discuter de la manière de les suivre.

Avez-vous une idée de l'orientation que pourraient prendre ces recommandations ?

Les mesures pénales peuvent être internationales ou nationales. En ce qui concerne les mesures nationales, on peut imaginer que les tribunaux ordinaires en Ukraine continuent à traiter ce genre de dossiers, mais on peut aussi faire valoir qu'il devrait peut-être y avoir un autre mécanisme en Ukraine, plus spécifique, un tribunal spécial ou quelque chose au niveau national. Ces idées ont été lancées dans les discussions internationales, c'est pourquoi je fournis ces orientations, comme vous les appelez, sans indiquer ce que la Commission va proposer, mais ce qui est en principe possible ou ce qui est discuté.  

Sur le plan international, la CPI est clairement un organe susceptible d'examiner de telles affaires. La question est de savoir combien de cas elle peut traiter. D’autre part, on peut se demander si on devrait avoir d'autres tribunaux internationaux ad hoc de nature pénale ou un tribunal spécifique traitant uniquement du crime d'agression, qui est une autre idée lancée et discutée dans les cercles internationaux. Voici donc juste un aperçu général de ce que la Commission va devoir considérer. 

Une fois que votre rapport final a été déposé, que se passe-t-il ? Le Conseil des droits de l'homme va-t-il partager les preuves que vous avez recueillies avec d'autres organismes ?

Dans la première résolution de mars dernier, il nous est demandé non seulement de recueillir des preuves, mais aussi de les préserver, de les conserver en toute sécurité. Par conséquent, les preuves que nous recueillons seront mises à la disposition de ceux qui en font la demande dans le but de rendre justice.

La Commission compte trois membres et vous disposez de quelques chercheurs et enquêteurs à Vienne. En avez-vous assez ?

Nous sommes trois commissaires et notre secrétariat à Vienne est composé de 24 personnes. Parmi ces personnes, il y a des enquêteurs et d'autres spécialistes pertinents pour notre travail. Et nous mènerons à bien notre mandat avec les ressources dont nous disposons.

Avez-vous fixé des priorités pour le reste de ce mandat ?

Nous avons, bien sûr, certaines priorités. Nous essayons notamment de sélectionner des événements en fonction de leur gravité, de l'existence d’un mode opératoire, du lieu où il est possible d'avoir accès aux victimes, aux témoins et à la documentation.

À la page 17 du rapport, la Commission déclare qu'elle "consacrera progressivement une plus grande partie de ses ressources au cadre temporel, géographique et thématique plus large défini dans la résolution 49/1. Les questions d'intérêt incluront les violations possibles dans les camps de triage, les transferts forcés présumés de personnes, les conditions dans lesquelles les adoptions accélérées d'enfants auraient lieu, ainsi que les changements dans l'administration locale et les soi-disant référendums, dont les conséquences deviennent plus claires étant donné les événements récents". Il est également dit que nous continuerons à agir en mettant les victimes au centre, ce que nous avons souligné depuis le début.

Vous parlez des "soi-disant référendums", n'entrez-vous pas là sur un terrain politique ?

C'est simplement ce qui est indiqué dans le rapport. Il s'agit simplement de quelques-unes des questions que nous tenterons d'examiner dans la mesure où il existe des preuves suffisantes que nous pouvons utiliser pour les approfondir.

Avez-vous essayé de contacter les autorités russes ?

Oui, nous l'avons fait. Et jusqu'à présent, elles n'ont pas répondu ou ne se sont pas mises à notre disposition pour une telle coopération, mais nous continuerons à chercher à entrer en contact avec elles.

Qu'en est-il des autorités des régions occupées de l'est de l'Ukraine ?

La situation est similaire. Nous les avons contactées et n'avons pas encore reçu de réaction.

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