Fenêtre sur le procès du bataillon ukrainien « Aidar » en Russie

Dix-huit membres du bataillon ukrainien « Aidar » sont jugés devant le tribunal militaire russe de Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie. Comme les 22 membres présumés du bataillon « Azov », ils sont accusés de participation à une « organisation terroriste » et d’avoir tenté de renverser par la force « l'ordre constitutionnel de la République populaire de Donetsk (DNR) », dans la région du Donbass, à l'est de l'Ukraine.

Procès
Photo du banc des accusés lors d'une audience en juillet dernier dans le procès de 18 membres présumés du bataillon ukrainien "Aidar", faits prisonniers en Ukraine et actuellement jugés en Russie devant le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don pour participation à une "organisation terroriste" et tentative de renversement par la force de "l'ordre constitutionnel de la République populaire de Donetsk (DNR)". © Vasily Deryugin / Kommersant
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Derrière la vitre de l'aquarium, sur le banc des accusés, 18 hommes et femmes sont en procès, maintenus en détention provisoire à Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie. Ces prisonniers de guerre sont, pour la plupart, détenus par la Russie depuis mars ou avril 2022, peu après le début de l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine.

Le tribunal russe a tenu sa première audience dans cette affaire le 26 juillet. Depuis l’« annexion » de la République populaire de Donetsk (DNR) il y a un an, le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don est devenu le pôle principal des affaires concernant ce que l'on appelle officiellement en Russie les territoires « nouvellement acquis ». En octobre 2022, lorsque les procureurs de la république sécessionniste de l'Ukraine orientale ont achevé l'enquête sur les 18 membres du bataillon « Aidar », ils ont transféré l'affaire d'abord à un tribunal de Donetsk, puis au tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don. Comme les 22 membres présumés du bataillon « Azov », ils sont accusés d'avoir tenté de changer par la force l'ordre constitutionnel de la DNR et d'avoir participé à une organisation terroriste.

Créée en mai 2014, leur unité de défense territoriale porte le nom de la rivière Aidar dans la région de Luhansk, dans l'est de l'Ukraine, où elle a été constituée par des volontaires. Le groupe a été accusé par Amnesty International d’« abus généralisés », avant d'être dissous en 2015 et réorganisé en tant que 24e bataillon d'assaut autonome au sein des forces armées de l'Ukraine. En août 2016, les formations Aidar et Azov ont été déclarées organisations terroristes et extrémistes par la DNR. Mais, contrairement à Azov, le bataillon Aidar ne figure pas à ce jour sur la liste des organisations terroristes ou extrémistes en Russie.

Un opérateur de drone, des lanceurs de grenades…

Parmi les accusés figurent Igor Gayokha, "commandant d'une section de mortiers", Sergey Kalinchenko, "commandant de la deuxième section d'une compagnie d'assaut", et Taras Radchenko, "chef du renseignement et chef d'état-major adjoint", selon l'acte d'accusation.

Parmi les autres accusés figurent les "lanceurs de grenades" Vitaliy Gruzinov (connu en Ukraine en tant que blogueur sous le nom de plume de Kozak Vedmenko) et Sergey Nikityuk, les « chauffeurs » Yevgeniy Pyatigorets, Dmitry Fedchenko, Vitaliy Krokhalev, Vladislav Ermolinsky, "opérateur de drone" Semen Zabayrachny, "soldat d'assaut" Nikolay Chuprina, "assistant du lanceur de grenades" Vyacheslav Bayduyk, "infirmier" Andrey Sholik, ainsi que les "tireurs d'élite" Vladimir Makarenko, Roman Nedostup, et Alexander Taranets. Outre les 16 hommes, deux femmes médecins, Marina Mishchenko et Lilia Prutyan, sont inculpées.

Masques noirs, gyrophares, menottes et chaînes

Justice Info a pu assister à l'une des audiences de ce procès, le 21 septembre.

Une demi-heure avant le début de l'audience, deux gros camions et deux camionnettes menés par des agents des forces de l'ordre arborant des masques noirs sont arrivés au tribunal gyrophares allumés. Selon l'avocate Lyubov Kuptsova, qui représente les intérêts de Dmitry Fedchenko, les convois prennent des mesures de sécurité sans précédent. Les prévenus hommes sont convoyés menottés et attachés les uns aux autres par des chaînes en fer.

Au total, le tribunal n'a tenu que quatre audiences dans cette affaire, consistant à lire l'acte d'accusation et à adapter les charges relevant du code pénal de Donetsk au code pénal russe. Selon l'agence TASS, les accusés ont également exprimé leur position sur les accusations : seuls deux membres du bataillon ont plaidé coupable. Trois autres se sont abstenus de répondre, tandis que 13 se sont déclarés innocents. L'accusation commence maintenant à présenter des preuves.

« La majorité des accusés s’est retrouvée dans le bataillon à la suite d'une mobilisation », explique Kuptsova. Selon l'avocate, la plupart ne comprennent pas ce qui se passe et ne croient pas en l'administration de la justice. Elle ajoute que son client a été torturé en détention en DNR et qu'ils témoigneront à ce sujet lors des prochaines audiences.

Les accusés sur le banc semblent calmes, sourient pendant les conversations avec leurs avocats. Le procès de l'affaire Aidar se déroule dans la même salle d'audience que celle où sont jugés les membres du bataillon Azov - seule la composition du tribunal diffère. Deux femmes, les mères de Taras Radchenko et Yevgeniy Pyatigorets, sont venues suivre l'audience. Un huissier explique à l'une d'entre elles, une blonde en pull noir ample et lunettes, qu'elle ne peut pas déposer de documents au tribunal car elle n'est pas partie prenante à la procédure.

"Elle ne comprend rien. Je ne suis pas artilleur"

L'audience commence et le procureur dit avoir reçu des déclarations écrites de six témoins indiquant qu'ils ne peuvent être présents pour diverses raisons. Il demande que leurs déclarations faites au cours de la phase d'enquête, menée dans la DNR, soient lues.

L'un des témoins cités, Anastasia Pervenko, est décrite comme "une connaissance de Chuprina". Nikolay Chuprina intervient : "C'est impossible. Qu'elle vienne au tribunal et qu'elle témoigne". La cour prend en compte sa position et rejette le témoignage du procureur.

Finalement, la cour lit les dépositions de trois témoins. L'un d'entre eux, Lyudmila Nikityuk, est la mère de Sergey Nikityuk, un "chauffeur" de 30 ans. Selon son témoignage, son fils a vécu avec elle à Volnovakha, une ville du sud-ouest de l'oblast de Donetsk, en Ukraine, jusqu'en 2014. Elle a déclaré qu'il avait rejoint le bataillon Aidar en septembre 2021 et qu'il servait en tant qu'artilleur. Selon Lyudmila, son fils a décidé de rejoindre le bataillon parce qu'il devait une somme d'argent importante à ses connaissances. Elle lui a parlé pour la dernière fois fin février 2022 et ne savait pas où il se trouvait. Après la lecture des témoignages, Nikityuk lui-même a déclaré à la cour qu'il ne parlait pas de sa vie avec sa mère : "Je n'avais pas de dettes. Elle ne comprend rien à tout cela. Je ne suis pas artilleur, après tout".

"Quel est le problème ? C'est un mot ukrainien courant"

Le témoignage de Tatiana Kamyshenko, la compagne de Vyacheslav Bayduyk, 49 ans, présumé "assistant du lanceur de grenades" selon l'accusation, a également été lu le 21 septembre, à la demande du procureur. Elle a déclaré avoir rencontré l'accusé en novembre 2015 lorsqu'il l'a aidée à réparer son véhicule. Ensuite, "il a été appelé au service militaire et envoyé à Volnovakha", a-t-elle expliqué. Après son service, Bayduyk a décidé de rester à Volnovakha et, en 2016, ils ont emménagé ensemble.

Au début, il a travaillé comme livreur dans un magasin de la ville, puis il a commencé à aider Kamyshenko à cultiver des champignons chez elle, qu'elle vendait ensuite à des connaissances. À l'été 2018, on lui a proposé un contrat militaire, dit-elle, et il a signé avec Aidar. Un an plus tard, Bayduyk a tenté de se lancer à nouveau dans les affaires, mais cela n'a pas fonctionné et il est retourné à l'armée. "Il est rentré chez lui en décembre 2020, mais le commandement l'a renvoyé sous les drapeaux. Il est parti en congés en mai 2021 et a obtenu sa carte d'identité militaire dans l'oblast de Lviv", a lu le juge président. Mais selon le témoin, il n'était plus dans une unité militaire ni de défense territoriale après cela. Kamyshenko a fourni aux enquêteurs de la DNR des copies de son contrat avec Aidar.

- À partir de quelle date ? demande l'un des avocats de la défense.

- L'un d'eux date du 1er août 2018, pour une durée d'un an. Le second contrat, écrit en ukrainien, est signé le "Lypen 23" ou 23 juillet 2020, répond le procureur.

- Que signifie "Lypen", demande l'un des avocats du premier rang.

- Juillet, répondent en cœur ses collègues, le tribunal et même quelqu'un du public.

- Ne devrions-nous pas traduire ?, proteste l'un des avocats de la défense.

- Quel est le problème ? C'est un mot ukrainien courant, répond un collègue.

- Vous avez demandé la date et on vous l'a donnée. Quoi d'autre ? conclut le président du tribunal, mettant fin au litige.

"Mon fils s'est trompé de date »

Le dernier témoignage lu au tribunal est celui de Nikolay Zagrebaev, le fils de Lilia Prutyan, 54 ans, présenté comme un "médecin" dans le dossier. Selon le procureur, il n'a pas pu assister au procès car il se trouvait "dans une zone d'opération militaire spéciale".

Zagrebaev a déclaré que sa mère avait signé un contrat militaire à la fin de l'année 2015, mais qu'il ne connaissait pas sa fonction exacte. Il ne sait pas grand-chose de la vie de sa mère, et il dit avoir appris qu'elle avait rejoint le bataillon Aidar uniquement par le biais des réseaux sociaux : "Elle a posté une photo en uniforme sur Facebook ». Mais il n'a pu par ailleurs fournir aucun documents concernant sa mère. "En mars 2022, des personnes en civil ont pris sa carte d'identité militaire, sa médaille, ses documents médicaux et deux dossiers contenant des documents", a déclaré Zagrebaev aux enquêteurs.

Prutyan a déclaré que son fils s'était trompé dans les dates. Elle dit avoir signé son premier contrat en février 2017 et avoir d'abord travaillé comme comptable. Elle n'est devenue infirmière à Aidar qu'en juillet 2020 : "Oui, il y avait une photo sur Facebook. En uniforme militaire. Il n'y a pas d'arme ou quoi que ce soit de ce genre", a-t-elle déclaré au tribunal.

Au cours de la prochaine audience dans cette affaire, programmée pour le 5 octobre, l'accusation continuera de présenter ses éléments de preuve.

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