Le plaidoyer de la Palestine contre l'occupation

Lors de la première journée d'audience à la Cour internationale de justice de La Haye sur la légalité de l'occupation israélienne de la Palestine, les juges ont entendu les avocats de cette dernière. Ils ont souligné l'importance internationale du dossier, avec 55 interventions écrites d'États et d'organisations internationales. Et l'ampleur des questions auxquelles les juges sont confrontés, allant de l'autodétermination à l'apartheid.

Audience devant la Cour internationale de justice (CIJ) sur l'occupation d'Israël en Palestine. Photo : Philippe Sands développe son argumentaire du côté palestinien.
Philippe Sands devant la Cour internationale de justice, le 19 février 2024 : "Personne dans cette grande salle de justice ne se fait d'illusions sur le droit international, mais c'est ce que nous avons." © CIJ-ICJ
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"Personne dans cette grande salle de justice ne se fait d'illusions sur le droit international, mais c'est ce que nous avons", proclame Philippe Sands, avocat britannique et conseil du roi, en prenant la défense de la Palestine devant la Cour internationale de justice (CIJ), le 19 février. Il forge ses arguments dans le contexte du "droit à l'autodétermination" dont jouissent tous les peuples en vertu de la Charte des Nations unies. Ce droit "a des conséquences réelles et pratiques", poursuit-il, notamment le droit de contrôler la terre et les ressources et d'être à l'abri des manipulations démographiques.

Israël n'assiste pas aux audiences. Alors que les représentants de la Palestine ont parlé pendant plus de trois heures et soumis un mémoire de 390 pages, Israël a déposé un document de cinq pages contestant la légitimité de la procédure. Il affirme que la formulation des questions soumises à la Cour est "préjudiciable" et ne tient pas compte des "milliers d'Israéliens morts et blessés qui ont été victimes des actes meurtriers de la haine et du terrorisme palestiniens - des actes qui continuent à mettre en danger les civils et la sécurité nationale d'Israël au quotidien".

Le défi pour la Palestine et les États qui appuient son analyse est de convaincre les juges que, pour analyser la situation, ils doivent considérer ce qui se passe actuellement en Palestine dans le grand bain de l'histoire, et appliquer avec audace plusieurs instruments du droit international, y compris la Charte des Nations unies et les conventions sur la discrimination raciale et contre l'apartheid. Les juges sont invités à ne pas faire preuve d'une trop grande déférence à l'égard des arguments avancés par les États sur la mise en péril de négociations de paix potentielles ou sur la sécurité d'Israël.

Contrer l'argument d'Israël sur la sécurité

Le contexte du nombre croissant de victimes de la guerre à Gaza a rythmé les présentations de la Palestine, souligné l'urgence de la situation et apporté des preuves supplémentaires de l'attitude négative des dirigeants israéliens à l'égard d'un éventuel État palestinien. Mais la masse de documents, de cartes et de citations présentés par la Palestine entend aussi contourner de nombreux contre-arguments israéliens potentiels.

Philippe Sands a comparu devant la Cour dans de nombreuses affaires. Il fait une comparaison avec l'une d'entre elles, l'avis consultatif de la Cour sur les îles Chagos, dans lequel la Cour s'est prononcée en faveur de l'autodétermination, contre l’opinion selon laquelle des questions de sécurité étaient en jeu. "Dans l'affaire des Chagos, la Cour a balayé les arguments britanniques et américains selon lesquels les prétendues questions de sécurité l'emportaient en quelque sorte sur le droit à l'autodétermination et son exercice. Nous espérons que la Cour rejettera l'argument selon lequel le droit à l'autodétermination du peuple palestinien est en somme conditionné par une détermination subjective d'Israël quant aux questions relatives à sa sécurité."

Selon Sands, l'avis de cette Cour rend plus probable, et non moins probable, une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien.

"La création d'un État palestinien ne dépend pas de l'approbation d'Israël. La puissance occupante n'a pas, et ne peut pas avoir, un droit de veto sur le droit à l'autodétermination du peuple palestinien", conclut-il. "Le droit à l'autodétermination exige que les États membres des Nations unies mettent immédiatement fin à l'occupation israélienne. Pas d'aide. Pas d'assistance. Pas de complicité. Aucune contribution à des agissements par la force. Pas d'argent, pas d'armes, pas de commerce, rien. Tous les membres des Nations unies sont tenus par la loi de mettre fin à la présence d'Israël sur le territoire de la Palestine. Un point c'est tout."

La légalité de l'occupation

L'équipe palestinienne est dirigée par le ministre des Affaires étrangères et comprend également des sommités juridiques telles que l'universitaire français en robe rouge Alain Pellet et l'avocat américain chevronné Paul Reichler. Reichler a déjà représenté le Nicaragua dans l'une des affaires phares de la Cour, qui avait conclu que les États-Unis avaient violé le droit international en recourant à la force contre le Nicaragua. Dans son argumentation, il fait une distinction entre le droit qui régit l'occupation - le droit international humanitaire - et la légalité même de l'occupation, sur laquelle la référence pour son évaluation est ici, selon lui, la Charte des Nations unies.

Il observe que 35 des soumissions des États portent sur la légalité de l'occupation et que seuls deux États soutiennent qu’elle est légale : les États-Unis et les Fidji. (Toutes les soumissions n'ont pas encore été publiées.) Reichler pointe du doigt les États-Unis pour une grande partie de sa critique, affirmant que, quelles que soient les violations du droit international commises par Israël, "les États-Unis cherchent toujours à les soustraire à leur responsabilité". Il cite les mémoires de Barack Obama, en 2020, sur la façon dont "les diplomates américains se sont retrouvés dans la position délicate de devoir défendre Israël pour des actions auxquelles nous étions nous-mêmes opposés".

"Le droit international exige qu'il soit mis fin à toute cette entreprise illégale", déclare Reichler.

Discrimination raciale et apartheid

Namira Negm, ancienne ambassadrice égyptienne et ancienne conseillère auprès de l'Union africaine, arborant un keffieh noir et blanc glissé dans sa veste, s'exprime sur la discrimination dont sont victimes les Palestiniens. "Depuis la Nakba de 1948 jusqu'à aujourd'hui, Israël a adopté une législation et des mesures discriminatoires qui lui ont permis de mettre en place un système profondément ancré de discrimination raciale à l'encontre des Palestiniens, en les soumettant à la domination israélienne et en niant leurs droits fondamentaux", déclare-t-elle. La discrimination "fait partie intégrante de l'occupation prolongée d'Israël, au même titre que l'annexion et la colonisation du territoire palestinien". Elles "se nourrissent l'une l'autre", plaide-t-elle.

Elle compare les politiques d'Israël à la "discrimination raciale institutionnalisée et à la ségrégation qui existaient en Afrique du Sud" et demande à la Cour de jouer à nouveau le rôle qu'elle avait joué en 1971 sur l'apartheid, "pour mettre fin à cette injustice flagrante" et à "cette situation illégale", et pour "accorder au peuple palestinien les droits fondamentaux auxquels il peut prétendre en vertu du droit international, mais qui lui ont été si injustement refusés". Elle répète ce que les experts de l'Onu ont décrit comme une "vision de l'apartheid du 21e siècle" où Israéliens et Palestiniens circulent sur des routes séparées, "un phénomène que même l'Afrique du Sud de l'apartheid n'a jamais connu".

La discrimination est "élaborée par le biais de lois, de tribunaux militaires, de la violence, d'un zonage et d'une planification discriminatoires et de punitions collectives", ajoute-t-elle.

Pour Israël, un abus de procédure judiciaire

Dans leur mémoire, les Israéliens affirment que toutes les preuves documentées fournies par les rapporteurs spéciaux et les commissions d'enquête de l'Onu ne constituent qu'une "distorsion évidente de l'histoire et de la réalité actuelle du conflit israélo-palestinien. Contrairement à toute conception d'une procédure régulière, il est demandé à la Cour de simplement présumer les violations israéliennes du droit international - d'accepter comme données des affirmations manifestement biaisées et erronées dirigées contre Israël seul. Le conflit israélo-palestinien n'est pas un récit caricatural de méchant et de victime dans lequel il n'y a pas de droits israéliens et pas d'obligations palestiniennes." La demande même d'un avis consultatif de la Cour est, selon Israël, "contraire au cadre juridique établi régissant le conflit israélo-palestinien, et constitue un abus du droit international et de la procédure judiciaire".

Israël souligne la menace que représente la bande de Gaza depuis son retrait volontaire en 2005, avec des "dizaines de milliers de roquettes" lancées contre la population civile et des "appels à l'anéantissement de l'État d'Israël". Ils soulignent que "les initiatives de rétablissement de la paix avancées depuis de nombreuses années [...] ont été sabordées par les rejets répétés des dirigeants palestiniens eux-mêmes".

Israël affirme également que les questions telles qu'elles sont formulées ne tiennent pas compte de "l'existence même des accords israélo-palestiniens, en vertu desquels les deux parties sont convenues de résoudre par des négociations directes le sujet même soumis à la Cour, y compris des questions telles que le statut permanent du territoire, les arrangements en matière de sécurité, les colonies et les frontières".

Cette semaine, plus de cinquante États et organisations internationales présentent leurs arguments à la Cour, étayés par leurs observations écrites. Il appartiendra ensuite aux juges de se prononcer sur l'un des dossiers les plus importants dont la Cour a été saisie.

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