Justice Info a 10 ans

Notre site d’information fête aujourd’hui ses 10 ans. Malgré les apparences, il a le vent dans le dos.

Justice Info a 10 ans. A l'occasion de l'anniversaire de la création du site (17 juin 2015), Hani Abbas nous a fait l'honneur d'une caricature au goût aigre-doux. Illustration : alors qu'une journaliste s'apprête à souffler les 10 bougies d'un énorme gâteau d'anniversaire en forme de 'marteau de juge', 3 personnages ressemblant fortement à Trump, Netanyahou et Poutine viennent gâcher la fête en soufflant eux-mêmes les bougies.
Illustration : © Hani Abbas
Republier

Lorsque le 17 juin 2015, Justice Info inaugure officiellement son site, ce n’est pas le premier pas de la Fondation Hirondelle dans le champ de l’information sur les violences de masse. Loin s’en faut. Ce questionnement est en réalité dans l’ADN de cette organisation non gouvernementale créée par un groupe de journalistes suisses, il y a 30 ans, au lendemain du génocide perpétré au Rwanda. C’est cet événement majeur qui est directement à l’origine de leur initiative. Et cette conscience a, depuis, toujours accompagné son développement. Pendant près de vingt ans, la Fondation Hirondelle a ainsi produit des milliers de dépêches sur les procès internationaux et nationaux qui ont été menés contre les auteurs du massacre des Tutsis.

Justice Info est le prolongement fidèle et cohérent de cet engagement tenace. Avec, l’ambition, cette fois-ci, d’élargir sa couverture à l’ensemble du monde et à toute initiative de justice, qu’elle soit pénale ou non, engagée pour affronter un passé, ou un présent, marqué par des crimes internationaux.

Justice Info se veut la chambre d’écho d’un mouvement global né dans les années 80 en Amérique latine, au lendemain des dictatures militaires, et qui a connu des développements spectaculaires dans les années 1990-2000, avec la création d’une série de tribunaux internationaux – pour le Rwanda, l’ex-Yougoslavie, le Timor oriental, le Kosovo, la Sierra Leone, le Cambodge, etc. Ce champ a été défini sous un terme un peu froid et obscur mais qui s’est imposé dans le milieu de la lutte pour les droits : la justice transitionnelle.

Justice Info au cœur du réacteur

Dix ans plus tard, les termes « crime de guerre », « crime contre l’humanité », « génocide » s’invitent chaque jour à la Une des grands médias généralistes. Si les fondateurs de Justice Info étaient convaincus de la pertinence humaniste et politique de l’aspiration des peuples et des sociétés à considérer le droit des victimes à connaître la vérité, à voir jugés les auteurs des crimes et à obtenir réparation, il est moins certain qu’ils aient anticipé que ce domaine de l’information deviendrait si « mainstream ».

Aujourd’hui, Justice Info se retrouve, par son sujet, au cœur du réacteur de l’actualité.

Il y a une manière triste de considérer cette situation : si le champ de travail de Justice Info croît, c’est que celui des grandes violences est également en expansion. Il serait alors sinistre de s’en réjouir. Mais il existe heureusement une manière plus lumineuse et, espérons-le, plus juste de voir les choses : si notre couverture se démultiplie et se retrouve si souvent au centre du jeu, c’est que l’aspiration au droit et à la justice se répand proportionnellement.

Les temps changent, le droit demeure

L’ordre mondial né de la Seconde Guerre mondiale n’est plus. Le droit international, qui devait structurer le rapport entre les nations depuis 1945, est régulièrement piétiné, y compris par de grandes puissances, régionales ou mondiales, dont plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Le développement et la légitimité d’une justice internationale sont vivement remis en cause ou clairement rejetés. Le choix entre guerre et paix reprend une place centrale dans la géopolitique mondiale.

Mais en même temps que s’accélère la dégradation du désordre mondial, peuples et États en appellent toujours plus au droit pour réguler la violence et les rapports de force. Cela se reflète, par exemple, dans l’intensité de leurs actions devant deux des tribunaux internationaux les plus éminents : la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale. Il continue ainsi, de facto, de se produire du droit là où l’on pense qu’il n’y en a plus. 

Les initiatives face aux grandes secousses de l’histoire demeurent multiples et créatives. Les pratiques de la justice transitionnelle, élaborées depuis quatre décennies, inspirent de nombreuses sociétés à travers le monde. Elles élargissent son champ d’application et de réflexion, au-delà de la guerre et de la dictature, vers les crimes environnementaux, le changement climatique, la responsabilité des entreprises, le passé colonial, les abus sexuels dans l’Église, les violences policières, ou demain peut-être, les gangs.

C’est ce mouvement que Justice Info accompagne et illustre depuis dix ans, à travers un réseau unique au monde de journalistes locaux spécialisés, et grâce aux contributions d’experts sollicités pour décrypter une actualité souvent complexe, parfois assez technique, et qui doit pourtant pouvoir être comprise par le plus grand nombre.

L’universel et le particulier

Difficile de retenir quels ont été les moments les plus forts au cours de ces dix ans. Du puissant procès d’Hissène Habré devant le tribunal de Dakar à la spectaculaire commission vérité en Gambie, qui nous a tenus en haleine pendant deux ans ; du processus immensément ambitieux en Colombie, qui restera forcément dans les annales de la justice transitionnelle, à la justice en temps de guerre développée par l’Ukraine ; des surprenants procès de chambres « foraines » au cœur du Kasaï ou du Kivu, à l’exigence souvent frileuse de réparations coloniales ; d’une autre grande commission vérité, en Tunisie, aux mises en accusation de Vladimir Poutine et de Benyamin Netanyahu ; du procès de Dadis Camara et consorts en Guinée, à la reconnaissance des crimes contre les peuples autochtones, de l’Amérique à la Scandinavie ; de la condamnation de trois derniers grands Khmers rouges au Cambodge, à l’accusation de génocide contre les dirigeants birmans et jusqu’au terrible avertissement de Raji Sourani que « Gaza ne soit pas le cimetière du droit international ».

Face aux bouleversements en cours, ce travail se retrouve au carrefour des enjeux actuels de géopolitique et de protection du droit, et des aspirations à la justice et à la paix. Justice Info est plus que jamais au cœur de son époque. Son audience ne cesse de croître car son objet est devenu une préoccupation brûlante. Notre site veut offrir un compas expert et humble, réactif mais sans précipitation, non partisan et accessible à tous, pour éclairer l’actualité et y naviguer sans perdre le cap, sur la base de faits fiables, d’une grille de lecture et d’analyse solide, ancrée dans la réalité et le temps long, et d’une affirmation sereine que l’universel « riche de tous les particuliers », celui d’Aimé Césaire, demeure un noble horizon. Merci à nos correspondants et contributeurs pour nourrir avec passion l’ambition d’informer avec indépendance, rigueur et hardiesse.

Merci à nos lecteurs pour votre fidélité et votre soutien.

Republier
Justice Info est sur Bluesky
Comme nous, vous étiez fan de Twitter mais vous êtes déçus par X ? Alors rejoignez-nous sur Bluesky et remettons les compteurs à zéro, de façon plus saine.