Sept ans après l’ouverture de la Justice spéciale pour la paix (JEP) et quatre ans après sa première mise en accusation, quel est le bilan du travail accompli par le bras judiciaire du système innovant de justice transitionnelle créé par la Colombie après l’accord de paix de 2016 ?
Elle a fait le pari d’un modèle dans lequel les personnes accusées d’avoir été les principales responsables de crimes atroces pendant les 52 années de conflit armé dans le pays choisissent de reconnaître leur rôle, de dire la vérité et de réparer directement leurs victimes. Cela leur permet de bénéficier de peines plus clémentes, de 5 à 8 ans, dans un environnement non carcéral. Si ces personnes choisissent de ne pas accepter les accusations, elles sont soumises à une procédure contradictoire et, si elles sont reconnues coupables lors du procès, elles sont condamnées à une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison.
Un coup d’œil aux chiffres de la JEP révèle cependant un paradoxe concernant le modèle colombien de justice transitionnelle.
Du côté positif, la ‘Chambre de reconnaissance des faits’ a fait de grands progrès dans les enquêtes sur les principaux responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Colombie, mettant en accusation 251 personnes à ce jour. Un tiers des accusés sont d’anciens rebelles des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et deux tiers sont d’anciens membres de l’armée colombienne. Selon le décompte de Justice Info, neuf accusés sur dix ont choisi de reconnaître leurs crimes.
Mais certains aspects du travail de la JEP pourraient à long terme nuire à sa légitimité. Aucun des principaux auteurs n’a encore été sanctionné. Et ce, malgré le nombre élevé de personnes inculpées, le fait que la plupart d’entre elles aient déjà accepté les charges retenues contre elles et le fait que, depuis fin 2022, trois actes d’accusation définitifs aient été déposés (ce que la JEP appelle des « résolutions de conclusions »). Sur les 20 personnes mises en examen qui ont refusé d’accepter les charges retenues contre elles, seules cinq ont été poursuivies par le bureau du procureur du tribunal – l’Unité d’enquête et d’accusation. Une seule, le colonel Hernán Mejía, est actuellement jugée. Les décisions concernant les milliers d’autres personnes potentiellement impliquées dans ces crimes, mais qui ne sont pas considérées comme les principaux responsables, avancent lentement. Et on ne sait toujours pas quelles seront exactement les sanctions infligées à ceux qui ont choisi cette voie inédite de la reconnaissance de leur responsabilité.
Enquêtes, procès et sanctions en Colombie, comment se déroulent-ils ?
Ci-dessous, Justice Info vous propose une synthèse chiffrée et visuelle. L'ensemble de ces données (finalisées en juillet 2025) sont également reproduites plus bas textuellement.









Ci-dessous, l'ensemble des données en version textuelle.
Après 7 ans, la JEP compte...
251 personnes mises en examen par la Chambre de reconnaissance des faits
108 personnes qui ont reconnu leur responsabilité lors d’une audience publique
101 personnes définitivement mises en examen
0 personne sanctionnée
Le processus d’enquête
11 667 victimes reconnues à titre individuel
365 entités collectives reconnues en tant que victimes (y compris des réserves autochtones, des conseils communautaires afro-colombiens, des organisations de victimes et des partis politiques)
1 080 rapports reçus
14 944 personnes ayant soumis des actes devant la JEP
9 923 anciens membres des FARC
4 807 anciens membres des forces de sécurité colombiennes
214 civils, tiers et autres
3 141 personnes non acceptées par la JEP
Les mises en accusation de la JEP
19 mises en accusation préliminaires collectives
4 mises en accusation formelles collectives
264 actes d’accusation contre 251 personnes
264 personnes accusées de crimes contre l’humanité
257 personnes accusées de crimes de guerre
État d’avancement des 11 macro-affaires de la JEP
5 ont fait l’objet d’au moins un acte d’accusation préliminaire (enlèvements, faux positifs, recrutement d’enfants, région du Cauca, région de Nariño)
2 ont fait l’objet d’une audience publique de reconnaissance de responsabilité (enlèvements, faux positifs)
2 ont donné lieu à des actes d’accusation définitifs (enlèvements, faux positifs)
2 ouvertes en 2019 n’ont toujours pas donné lieu à des actes d’accusation (extermination de l’Unión Patriótica, région d’Urabá*)
4 ouvertes en 2022-2023 n’ont pas donné lieu à des actes d’accusation (autres crimes des FARC, autres crimes des forces armées, crimes contre les minorités ethniques et violences sexistes)
*Partage une mise en accusation avec les faux positifs
Qui sont les hauts responsables mis en accusation
169 anciens officiers de l’armée
75 anciens rebelles des FARC
6 tiers civils
1 agent de l’État non militaire
250 hommes, 1 femme
7 anonymes (pour des raisons de sécurité)
2 décédés avant le prononcé de la sentence (« Bertulfo Álvarez » et le colonel Cipriano Peña)
Les plus hauts gradés
17 généraux, 46 colonels, 28 commandants (gradés à la retraite)
8 membres du secrétariat des FARC (dont un décédé), 7 membres de l’état-major central des FARC
3 anciens commandants de l’armée nationale (le général Mario Montoya, le général Óscar González Peña et le général Jaime Lasprilla)
1 ancien commandant en chef des FARC (Timoleón Jiménez)
1 ancien directeur de la justice pénale militaire (Edgar Ávila Doria)
4 députés actuels (tous issus du parti Comunes, anciennement FARC) : Julián Gallo, Pablo Catatumbo Torres, Pedro Baracutao et Jairo Cala
Accusés récidivistes
10 sont inculpés dans deux affaires distinctes (7 membres des FARC, 3 anciens militaires)
1 est inculpée dans 4 affaires distinctes (Pablo Catatumbo Torres)
Ceux qui ont reconnu les crimes
201 ont reconnu leur responsabilité (90 % du total)
21 n’ont pas reconnu leur responsabilité (9,3 % du total)
2 n’ont pas répondu (dont un décédé)
9 audiences publiques de reconnaissance de responsabilité dans 10 villes différentes
5 concernaient des faux positifs de l’armée, 4 des enlèvements des FARC
108 accusés ont reconnu leur participation à des crimes lors d’audiences
Ceux qui ont préféré la voie contradictoire
Tous sont des militaires
16 ont déjà été renvoyés devant le bureau du procureur de la JEP
5 ont été inculpés par le bureau du procureur de la JEP
1 est actuellement en procès (le colonel Hernán Mejía), et un autre est sur le point de l’être (le colonel David Herley Guzmán)
Concernant les responsables de moindre niveau
Devant la JEP
9 700 amnisties administratives de jure pour des délits politiques (tels que la rébellion, la sédition ou l’insurrection)
Décisions de la JEP
827 amnisties judiciaires pour des délits prévus dans l’accord de paix
705 personnes renvoyées pour une décision judiciaire comme n’étant pas les plus responsables (sélection négative)
231 personnes bénéficiant d’une renonciation à poursuites ou d’une exclusion d’enquête
Personnes les plus responsables sanctionnées
0
Les deux premières audiences publiques visant à vérifier que les accusés ont respecté les conditions de reconnaissance, de vérité et de réparation devraient se tenir en juillet de cette année.
Sources : Actes d’accusation, rapports et déclarations publiques de la JEP analysés par Justice Info, ainsi que nos propres reportages.
Infographie : Maryann Estrada