Suisse : Kosiah condamné dans le premier procès de compétence universelle

Après trois mois de délibérations, le 18 juin, les juges du Tribunal Pénal Fédéral de Bellinzone ont reconnu coupable de crimes de guerre l’ancien chef de guerre libérien Alieu Kosiah, dans le premier procès de compétence universelle organisé en Suisse. Condamné à 20 ans de prison, il sera expulsé durant quinze ans du territoire suisse après avoir purgé sa peine.

Alieu Kosiah
L'ancien chef de guerre libérien Alieu Kosiah (portrait d'audience) est la première personne condamnée en Suisse, ce vendredi 18 juin, pour crimes de guerre devant un tribunal civil. © Leslie Lumeh / New Narratives
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Le suspense n’aura pas duré longtemps dans les travées du Tribunal Pénal Fédéral de Bellinzone (Sud-Est de la Suisse). Quelques minutes à peine après le début de la lecture du jugement par la greffière, les dés sont jetés. Reconnu coupable de 21 des 25 chefs d’accusation qui lui étaient reprochés, le Libérien Alieu Kosiah est condamné à la peine maximale prévue par le code pénal suisse au moment des faits, soit 20 ans d’emprisonnement. S’il faudra déduire à cela les 2.413 jours (plus de six ans et demi) qu’il a passés en détention préventive, les juges l’ont également condamné à une expulsion du territoire suisse, de quinze ans, après sa sortie de prison. Après un bref résumé des faits, le président de la cour, Jean-Luc Bacher, s’est livré à la lecture des motivations.

Justice Info a pu en reconstituer la substance à distance, en recoupant les notes de plusieurs avocats présents à l’audience, en l’absence à l’heure où l’on écrit ces lignes de communication par le tribunal de ses motivations écrites. S’emportant parfois dans des envolées lyriques, citant le philosophe grec Aristote, le juge a d’abord souligné le caractère exceptionnel de ce premier procès de compétence universelle dans l’histoire de la justice suisse. Après cinq ans d’instruction et un acte d’accusation de plus de 40 pages, une vingtaine de témoins et de parties plaignantes, pour la plupart en provenance du Liberia, se sont succédés à la barre durant près de quatre semaines. Un dossier porté par l’ONG genevoise Civitas Maxima, qui a réuni la plupart des preuves et des éléments à charge, les procureurs suisses n’ayant pu se rendre sur place faute d’accord avec les autorités du Liberia.

19 assassinats, 7 actes de torture, et 1 viol

S’arrêtant sur le calvaire vécu par les civils durant cette première guerre civile libérienne qui a fait près de 150.000 victimes, le juge a souligné que le comportement des milices avait fait vivre aux civils « un enfer, a t-il dit, dont les supplices apparaissent comme arbitraires et profondément injustes ».  Après une brève chronologie de la guerre, le juge a décrit le parcours de Kosiah, d’abord durant la guerre civile, puis lors de ses vingt années passées en Suisse, où il a travaillé comme réparateur de citerne avant de bénéficier de l’aide sociale. Suivant le déroulé de l’acte d’accusation, la cour a prononcé son verdict : l’ancien chef de guerre a ordonné ou commis 19 assassinats, organisé plusieurs transports forcés, torturés 7 personnes et commis 1 viol. Le président a pointé son absence de repentir et de remords.

Faute de preuves matérielles concernant des faits vieux de trente ans, les juges suisses se sont appuyés sur des témoignages. La cour a dû arbitrer entre la crédibilité des déclarations des victimes et celle de l’accusé, appuyé par les témoins de la défense. Considérant, selon les mots du juge président tels qu’ils nous ont été rapportés, que Kosiah a fait preuve durant le procès de « cynisme et d’arrogance » voire parfois d’« hostilité » face aux témoins, la cour ne semble pas avoir eu de doute, reprochant par ailleurs à l’accusé d’avoir « adapté son récit au fil de la procédure et selon les témoins de la défense ». Contestant en bloc les faits reprochés, Kosiah a répété qu’il n’était pas sur place au moment des faits. Une explication « peu crédible aux yeux de la cour » qui remet en question dans son jugement l’honnêteté des témoins de la défense et leurs récits « manifestement préparés et orientés ». Autre élément peu probant, selon les juges : l’affirmation de Kosiah selon laquelle il n’a jamais assisté au moindre crime commis par son mouvement, l’Ulimo (United Liberation Movement of Liberia), dont les violences sont pourtant très documentées.

Enfin, les magistrats ont balayé la théorie du complot soutenue par Kosiah et son avocat selon laquelle Civitas Maxima et son homologue libérien Global Justice and Research Project (GRJP) auraient manipulé les témoins. Déclarant n’avoir « aucun motif de penser la collusion entre avocats et ONG d’une part et les plaignants d’autres parts », les juges ont noté que malgré les contradictions présentes dans les plaintes initiales déposées par les parties plaignantes, celles-ci ont été « guéries » par leurs explications à la barre durant le procès. Kosiah est par ailleurs condamné au civil à verser plus 50 000 CHF, au titre des réparations, à sept plaignants libériens qui s'étaient constitués parties civiles.

« Une énorme victoire », selon Alain Werner

Ajoutant qu’il était normal que certains souvenirs s’estompent après vingt-cinq ans, le président Bacher a fait confiance, précise-t-il, aux témoignages des victimes malgré certaines contradictions mineures en audience. Il a également tenu à souligner l’exceptionnelle précision des souvenirs du témoin, E. En effet, ce professeur de mathématique avait étonné la cour en dénombrant le nombre de personnes présentes dans la salle durant son témoignage, sans se tromper. Contacté par Justice Info après le verdict, l'enseignant a répondu à sa manière, sobre et précise : « J’ai été très impressionné par le travail du tribunal. J’ai voulu témoigner car je voulais obtenir la justice et je l’ai eue. Je suis satisfait ».

Un sentiment de satisfaction partagé par Alain Werner, l'avocat de plusieurs plaignants et directeur de Civitas Maxima. Contacté au sortir du tribunal, il a déclaré avoir été « calomnié par Alieu Kosiah depuis le début de la procédure ». « Pendant sept ans, dit-il, il nous a accusé de tous les maux et a déposé de nombreuses plaintes pénales contre les parties plaignantes. Aujourd’hui, cette décision montre que la cour a cru en la bonne foi des victimes d’Alieu Kosiah. C’est une victoire énorme pour la justice et contre l’impunité au Liberia ». Même son de cloche du côté du journaliste libérien Anthony Stephens, venu couvrir le procès durant les audiences de février dernier. « Cette décision tombe à un moment historique pour les victimes », déclare-t-il. « Juste avant que le barreau libérien entame une marche devant le parlement pour demander le passage d’une loi sur les crimes de guerre ».

L’avocat de la défense, Dimitri Gianoli, annonce de son côté qu’il va faire appel. « A l’évidence, déclare-t-il, le Tribunal pénal fédéral a subi la pression politique et médiatique et n’a malheureusement pas su rendre justice [et] a écarté sans raison les multiples démonstrations qui ont pourtant été apportées lors des débats sur les incohérences du dossier d’accusation, sur le manque de crédibilité des plaignants, sur leurs multiples contradictions et même mensonges. » Kosiah, précise Me Gianoli, « reste convaincu que Civitas Maxima a travesti les événements et l’histoire de la première guerre civile du Liberia pour en faire un véritable fonds de commerce ». Le Libérien va, conclut-il, « poursuivre son combat pour que la justice à laquelle il a droit puisse être faite. »

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