La défense : "Raslan a fait tout ce qu'il pouvait pour aider"

Le verdict final du premier procès pour torture d'État en Syrie est attendu le 13 janvier, à Coblence, en Allemagne. Jeudi dernier, la défense a plaidé l'innocence d'Anwar Raslan. L'ancien agent des services secrets a fait une déclaration finale, dans laquelle il a décliné toute responsabilité pour les crimes commis dans la prison al-Khatib de Damas, en Syrie, lorsqu'il était en fonction.

Anwar Raslan lors de son procès à Coblence en Allemagne
Le verdict dans le procès d'Anwar Raslan, ex-officier des services de renseignement syrien jugé pour torture à Coblence, en Allemagne, est attendu pour jeudi 13 janvier. © Thomas Lohnes / AFP
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Il y a une chose sur laquelle tout le monde dans la salle d'audience était d'accord après près de deux ans de procès - l'accusation, les plaignants et les juges, et même l’accusé et ses avocats : le régime de Bachar el-Assad a commis des crimes atroces contre sa propre population. Ils étaient également d'accord pour dire que des milliers de prisonniers ont été torturés et tués dans les antennes des services secrets dans toute la Syrie, y compris dans cette division 251 du renseignement militaire dans la capitale Damas, où le colonel Anwar Raslan était chef des enquêtes jusqu'à la mi-2012. Ce sur quoi ils ne sont pas du tout d'accord, par contre, c'est sur le rôle joué par Raslan. Selon l'acte d'accusation, 58 meurtres et 4 000 cas de torture ont eu lieu sous sa surveillance. Selon la défense, il est innocent.

Au contraire, il aurait aidé autant de prisonniers qu'il le pouvait.

Après 103 jours de présentation de la preuve, le procès de Raslan, le principal accusé, s'achève. Une semaine avant le verdict final de ce procès qui se tient à Coblence, en Allemagne, sa défense a présenté ses plaidoiries finales. Depuis avril 2020, deux anciens agents des services secrets syriens sont accusés de crimes contre l'humanité pour leur responsabilité dans les mauvais traitements et meurtres de prisonniers dans une prison de la sûreté de l'État, appelée "al-Khatib", du nom du lieu où elle se trouve. L'officier de rang inférieur Eyad al-Gharib a été condamné à quatre ans et demi de prison, en février dernier.

Après les plaidoiries finales de l'accusation et des parties civiles, qui ont demandé une peine de prison à vie, le dernier mot est revenu à la défense, jeudi dernier.

"Ce n'est pas un procès politique"

Les deux avocats de Raslan ont pris soin de souligner qu'ils n'étaient pas là pour défendre le régime Assad. "La question est de savoir si Raslan peut être tenu responsable en tant que représentant du régime Assad et puni de la plus haute peine", a déclaré l'avocat Yorck Fratzky, arguant que le droit international devait être très prudent lorsqu'il s'agit de juger de la responsabilité individuelle au sein d'un système criminel et totalitaire. "Nous devons appliquer une norme différente de celle qui s'applique aux crimes commis dans un État comme l'Allemagne", a-t-il déclaré, ajoutant que pour cette raison, les tribunaux internationaux se concentrent généralement sur les dirigeants politiques et militaires les plus hauts placés, qui ont organisé les crimes, même s'ils ne les ont pas exécutés personnellement. "C'est Anwar Raslan qui est assis sur le banc des accusés. Je ne vois pas là ni Bachar el-Assad ni Hafez Makhlouf [cousin d'el-Assad et ancien chef de la subdivision numéro 40 de la division 251]", a déclaré Fratzky. Et quand bien même il aurait eu de l'autorité, a-t-il ajouté, il agissait sous la contrainte.

Mais il n’en avait pas, selon la défense. Qui est revenue sur la déclaration initiale de Raslan, dans laquelle il expliquait comment il avait perdu toute autorité, après avoir libéré trop de prisonniers et remis en question la réaction violente du régime aux manifestations. "Raslan n'a jamais nié avoir eu connaissance de la torture, mais il a expliqué qu'il avait fait tout ce qu'il pouvait pour aider", a ajouté Me Fratzky. Revenant sur les nombreux témoignages entendus lors du procès, il a divisé les témoins survivants en trois groupes : ceux qui avaient rencontré Raslan et avaient été bien traités par lui ; ceux qui pensaient l'avoir rencontré, mais ne pouvaient pas l'identifier avec certitude ; et ceux qui ont entendu son nom et sa position après coup et ont supposé qu'il devait être le responsable de leurs abus.

"La plupart d'entre eux avaient une chose en commun : ils se souciaient de la Syrie, pas de Raslan. Ils ont trouvé ici une plateforme pour critiquer le régime. Certaines victimes avaient aussi besoin d'un procès pour traiter ce qu'elles avaient subi et tourner la page", a déclaré Me Fratzky. Même s'il comprend l'envie des victimes de faire condamner l'accusé, parce qu'il a travaillé pour le régime détestable d'Assad, "ce n'est pas un procès politique, mais une procédure pénale."

Les photos de César : "Sans rapport avec ce procès"

Le co-conseil de Fratzky, Michael Böcker, a cherché à démontrer dans sa plaidoirie que tout au long du procès, aucune des informations fournies par Raslan sur sa personne et sur sa position en Syrie n'ont été réfutées : la façon dont il a risqué sa vie en s'exprimant plus d'une fois contre les arrestations massives arbitraires, la façon dont il a continué à libérer des détenus innocents ; et la façon dont sa situation de musulman sunnite travaillant pour un régime alaouite devenait de plus en plus dangereuse. A contrario, dit-il, aucune preuve n'a été apportée aux spéculations selon lesquelles il aurait fait défection pour des raisons opportunistes ou serait resté un espion du régime. Les allégations selon lesquelles il n'aidait que les prisonniers qui étaient des artistes ou des intellectuels célèbres n'ont pas non plus été validées. Alors, "que penser de la simple hypothèse qu'il a aidé autant de personnes qu'il le pouvait et qu’il ne s'agissait que de faits marquants parmi tant d'autres ?", s’est interrogé Me Böcker. Si l’on applique la maxime "innocent jusqu'à preuve du contraire", cela aurait dû être la conclusion évidente, a-t-il soutenu.

Me Böcker a exprimé sa déception vis-à-vis des nombreux témoins et preuves présentés. Les témoins experts ainsi que ceux des autorités d'asile ou des bureaux de police seraient restés vagues et généraux dans leurs témoignages. "Raslan a fait sa part en faisant une déclaration, et les services de l’Etat auraient dû faire de même, mais ils ont été décevants. Ils ne nous ont été d'aucune utilité, mais ils n'ont pas non plus causé de préjudice." Les photos de César, bien que choquantes, n’auraient elles rien prouvé de l'implication personnelle de son client. "Elles montrent beaucoup de choses sur le système syrien, mais elles ne sont d'aucune pertinence pour ce procès", a-t-il déclaré. "Elles ne concernent pas la prison d'al-Khatib pendant la période de l'acte d'accusation".

"J'étais convaincu que je devais faire défection"

Enfin, ce fut au tour de Raslan de prendre la parole. Ceux qui ont suivi le procès avaient attendu ce moment pour l'entendre enfin et percevoir une émotion sur son visage ou dans sa voix. Mais la déclaration finale de l'accusé avait été traduite en allemand et a été lue par son traducteur. "Dans ces derniers mots, je ne veux pas seulement me concentrer sur ma défense, mais aussi sur la vérité", a-t-il commencé, laissant espérer qu'il révélerait des informations privilégiées ou assumerait la responsabilité des crimes, comme les plaignants l'avaient exhorté à le faire. Mais une grande partie du discours d'une heure de Raslan n'a fait que répéter ce qu'il avait dit dans sa déclaration initiale en mai 2020.

Il a parlé des arrestations massives qui ont commencé en mars 2011 et de la façon dont la prison de sa division a été inondée de prisonniers "comme un tsunami". "Au début, j'ai essayé de maintenir les chiffres bas, car la prison n'était pas conçue pour un tel nombre", a-t-il dit, révélant une fois de plus sa façon plus pragmatique qu’empathique de voir les choses. Il a déclaré avoir rédigé des protocoles quotidiens dans lesquels il suggérait de libérer la plupart des détenus, en particulier ceux qui n'étaient pas armés. Il a décrit plusieurs situations où cela lui a valu des ennuis. Et dans le même temps, dit-il, il était devenu suspect pour ses supérieurs, parce qu'il était un musulman sunnite originaire du bastion de l'opposition d'al-Hawla. Au printemps 2011, son patron Tawfiq Younis l'a appelé. "Il a dit que 50.000 personnes de ma ville natale avaient manifesté et qu'ils étaient des traîtres. Après avoir analysé la situation, j'ai réalisé qu'il me voyait aussi comme un traître, et j’ai été alors convaincu que je devais faire défection", a expliqué Raslan.

"Je n'ai pas été capable d'arrêter la machine à tuer"

Selon l'ancien agent de renseignement, il lui a fallu jusqu'à la fin de 2012 pour préparer son départ en toute sécurité avec sa famille. Durant tous ces longs mois, il affirme avoir risqué sa vie en aidant le plus grand nombre de prisonniers possible, tout en perdant de plus en plus la confiance de ses supérieurs. Raslan a raconté un autre épisode qui s'est produit en mai 2012, lorsque les milices pro-régime ont commis un massacre contre la population de sa ville natale, tuant plus d'une centaine de civils. Une fois de plus, Raslan a été appelé dans le bureau de Younis, où une équipe de télévision russe l’attendait. "Ils voulaient que je donne une interview et que je dise que les islamistes étaient responsables du massacre", a déclaré le prévenu. Lorsqu'il a refusé, son patron lui a dit : "Maintenant, toutes tes cartes sont sur la table, et ce sont toutes des cartes perdantes. Retourne à ton bureau". Peu après, Raslan a été transféré dans une autre division, celle d'où il a fini par faire défection.

Si Raslan a reconnu que des prisonniers sont arrivés dans sa division avec des blessures, qu’ils y ont été torturés ou même tués, il a systématiquement rejeté la responsabilité sur quelqu'un d'autre : des officiers d'autres branches, ses supérieurs, ou le célèbre Makhlouf, puissant et cruel cousin d'el-Assad. Et s'il a présenté ses excuses aux familles des victimes, ce n'était pas pour avoir commis des crimes, mais pour "ne pas avoir été capable d'aider plus que je ne l'ai fait, ne pas avoir été capable d'arrêter la machine à tuer."

Il a finalement expliqué qu'il approchait de son soixantième anniversaire et qu'il souffrait beaucoup, d'une maladie chronique, de l’éloignement de sa patrie et de la séparation d'avec ses enfants et petits-enfants. Il a demandé à la Cour un verdict équitable, soulignant qu'il croyait en la loi et dans le système judiciaire allemands, et qu'il accepterait sa décision.

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